Quartier Libre : Pouvez-vous nous résumer votre recherche ?
Yves Brun : Je m’intéresse à la croissance des bactéries et aussi à la façon dont elles s’attachent aux surfaces et forment des biofilms. Ces derniers sont tout autour de nous mais certains sont un réservoir d’agents infectieux. Regroupées ainsi, les bactéries peuvent développer des résistances aux antibiotiques ou aux agents antibactériens.
Q.L. : Quels sont les mécanismes de défense des bactéries face aux antibiotiques ?
Y. B. : D’abord, il faut savoir qu’il y a toujours des bactéries résistantes aux antibiotiques dans l’environnement. Cette résistance se produit généralement par l’échange de gènes de résistance entre les bactéries ou par l’acquisition d’une mutation au hasard au cours de la réplication du génome. Par exemple, la mutation peut permettre la sécrétion d’une enzyme qui va dégrader l’antibiotique, ou l’empêcher de pénétrer dans la cellule.
Q.L. : Quels sont les risques pour la santé publique ?
Y. B. : À partir du moment où un antibiotique est utilisé, on va de ce fait tuer les bactéries non résistantes et permettre à celles résistantes de se développer plus facilement en l’absence de compétition. On comprend alors que l’utilisation à outrance des antibiotiques dans l’élevage est une des sources du problème. Dans les élevages à grande échelle, il est plus fréquent de voir se développer des infections. On va donc prescrire des antibiotiques à titre préventif mais ce faisant, on sélectionne les bactéries résistantes.
Q.L. : Comment prévenir ce risque ?
Y. B. : Il faut une meilleure gestion de l’utilisation des antibiotiques. Il faudrait ne les utiliser que quand ils sont nécessaires. Leur prescription par les médecins pour les infections virales ne marche tout simplement pas. Leur utilisation dans les savons avec antibiotiques est inutile. Dans les deux cas, leur utilisation n’est pas nécessaire, encourage le développement des résistances. C’est une course à l’armement : on doit constamment créer de nouveaux antibiotiques pour combattre le développement des résistances.
Q.L. : Comment se fait-il que les antibiotiques soient si largement prescrits ?
Y. B. : Il y a toutes sortes de facteurs qui poussent à la prescription d’antibiotiques. Par exemple, l’aspect économique : l’utilisation des antibiotiques de façon préventive dans les élevages peut augmenter les rendements. L’addition d’antibiotiques va aider à vendre un savon liquide. De plus, certains médecins prescrivent des antibiotiques trop facilement, parce que le patient insiste pour avoir un médicament. Par contre, arrêter la prescription d’antibiotiques n’est pas la solution : le taux de mortalité dû aux simples infections bactériennes grimperait en flèche.
Q.L. : À quoi pourraient ressembler les antibiotiques de demain ?
Y. B. : Une des cibles prioritaires pour la création de nouveaux antibiotiques est de comprendre le mur cellulaire bactérien, qui joue le rôle d’une cage de protection pour le milieu cellulaire et qui doit être affaibli pour que la bactérie soit détruite. En s’y attaquant, on peut tuer la bactérie. Dans une étude que notre équipe a publiée en 2012, nous avons développé des molécules fluorescentes qui permettent de détecter où et quand ce mur cellulaire est construit. Maintenant, cette technique est utilisée par les chercheurs étudiant la synthèse du mur cellulaire ou tentant de développer de nouveaux antibiotiques ciblant ce mur cellulaire partout dans le monde.