Son et image

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Par Claudie Arseneault
vendredi 16 novembre 2018
Son et image
La musique peut donner une identité sonore très forte à un film. C’est le cas des compositions des westerns d’Ennio Morricone. (Archives Benjamin Parinaud)
La musique peut donner une identité sonore très forte à un film. C’est le cas des compositions des westerns d’Ennio Morricone. (Archives Benjamin Parinaud)
Solenn Hellégouarch s’interroge dans sa thèse* sur la collaboration à long terme entre un réalisateur de film et son compositeur. Les idées et pratiques de chacun se mêlent pour aboutir au développement de nouvelles créations musicales.

Lors de la conception de musique de film, il est important de captiver l’attention du public et il faut savoir comment composer une belle mélodie, ce qui n’est pas à la portée de tous, d’après Solenn. La mélodie doit définir l’univers qu’elle décrit. « C’est surtout le cas dans de grandes fresques, comme Star Wars et Le seigneur des anneaux, où il y a beaucoup de lieux, beaucoup de personnes et d’action, et plusieurs heures avec des univers complexes », affirme-t-elle.

« Ces artistes [le réalisateur et le compositeur] vont collaborer pendant des années, donc on peut supposer qu’ils vont développer une méthode ensemble », explique celle qui s’intéresse à l’intimité créatrice qui se consolide entre deux artistes. Pour l’ancienne étudiante de l’UdeM, dans un tel contexte, les réalisateurs deviendront plus sensibles à la composition musicale.

Selon cette titulaire d’un doctorat en musicologie, la musique est souvent traitée avant d’être insérée dans un film. Une fois composée, elle est jugée par le réalisateur et soumise à l’équipe de montage. Toutefois, pour certains films, le processus n’est pas le même.

L’adaptation de la musique à l’image

De manière générale, la musique s’adapte au visuel, indique Solenn. « Il faut toujours penser que lorsqu’on injecte de la musique dans un film, l’image sera totalement transformée », précise-t-elle. La musique vient apporter une dimension supplémentaire et fait ressortir certaines choses à l’écran, presque indétectables sans musique.

Quand la production du film se termine, le réalisateur, le compositeur et le monteur se rencontrent, indique Solenn. On appelle ça la session de repérage. « Ils vont discuter des emplacements de la musique », poursuit-elle, ajoutant que tous trois évoquent ensemble de l’idée globale du film, son fil directeur et le rôle de la musique.

Un air accrocheur

Selon l’étudiant au baccalauréat en musique Jérôme Dumas, l’enjeu commercial est très important à Hollywood. « Il est courant de demander au compositeur de créer des mélodies accrocheuses, qui pourront vendre des chansons thèmes et des partitions de film », affirme-t-il. Cet avis est partagé par Solenn. « Mettre des chansons dans tous les films est devenu la pratique, car on veut vendre », confirme-t-elle.

« Il arrive que certaines musiques de film possèdent des qualités musicales exceptionnelles et dont le pouvoir expressif est suffisamment grand pour les rendre autonomes, précise son directeur de recherche et professeur à la Faculté de musique Michel Duchesneau. Ces partitions se détachent alors du contexte visuel pour vivre par elles-mêmes. » Il note que la force mélodique, la construction thématique ou la puissance de l’orchestration peuvent être des marqueurs musicaux déterminants.

Dans d’autres cas, poursuit le professeur, la musique seule permet de fixer les émotions ressenties au visionnement du film. « Le succès d’un film n’est pas non plus étranger au fait qu’une musique soit mémorisée et devienne connue », nuance M. Duchesneau. Elle peut donner une identité sonore très forte à un film. Solenn précise qu’elle peut parfois servir de guide au fil de l’histoire. « Dans les films hollywoodiens, on nous prend pour des spectateurs un peu “bébêtes”, explique-t-elle. On nous prend par la main et la musique nous guide, nous dit ce qu’on doit ressentir. »

Un laboratoire musico-filmique

Les duos McLaren et Blackburn ainsi que Cronenberg et Shore, exemples d’application précis de la thèse de Solenn, font tout l’inverse, d’après elle, et tentent de créer des univers atypiques. « On ne veut pas dire au spectateur ce qu’il doit ressentir, indique-t-elle. On veut ajouter de la complexité à l’image. La musique doit créer des raisonnements, des questionnements, du doute, de l’inconfort, des ambiguïtés. »

La collaboration entre Shore et Cronenberg peut être décrite comme un laboratoire musico-filmique, selon Solenn. « C’est-à-dire que d’un film à l’autre, ils vont essayer de nouvelles choses », souligne-t-elle. Pour Blackburn et McLaren, qui travaillent dans le film d’animation, ils vont marier le son synthétique, installé sur la pellicule directement, avec le saxophone. Le son sera ainsi traité comme un instrument à part entière.

* Une méthode dangereuse : comprendre le processus créateur en musique de film, le cas de Norman McLaren et Maurice Blackburn, David Cronenberg et Howard Shore, Solenn Hellégouarch, juin 2015.