Sexe, violence et télévision

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Par Anne-Sophie.Carpentier
mercredi 19 octobre 2011
Sexe, violence et télévision

Fanny Britt

Fanny Britt a écrit la pièce Chaque jour, qui inaugure ces jours-ci la saison de la nouvelle Licorne. Auteure de près d’une dizaine de pièces (Hôtel Pacifique, Enquête sur le pire), elle est aussi une prolifique traductrice (La reine de beauté de Leenane, Le pillowman). Dans sa nouvelle pièce, elle poursuit l’exploration des dessous des relations de couple, et cible cette fois la violence et l’inertie provoquées par l’univers médiatique.

«Le projet de départ, c’était vraiment d’explorer une facette particulière de la violence. La violence qui naît de l’ennui, de l’engourdissement », explique Fanny Britt. L’inspiration lui est venue alors qu’elle s’était blessée au dos. Pendant les semaines où elle était «prise» à la maison, elle s’est mise à écouter la télévision le jour et le soir aussi. L’auteure dans la trentaine raconte avoir atteint une inertie tellement forte qu’elle se sentait devenir perméable aux messages envoyés par le téléviseur. «Cette chose est tellement puissante. Un potentiel de pouvoir incroyable. Dramatiquement, ça m’a intéressée. La pièce est un mélange entre ma fascination d’auteure pour ce phénomène-là et mon inquiétude personnelle, qui passe par un discours assez critique», dit-elle.

 

Le récit met en scène un couple, Joe et Lucie, qui se rend à l’appartement de la patronne de Lucie pour nourrir le chat alors qu’elle est absente. Joe décide qu’il veut rester dans cet appartement plus luxueux que le leur et profiter de la « super grosse télé » plutôt que de sortir avec Lucie pour son anniversaire. Le jeune homme est bouleversé par l’écoute de la musique venant d’un iPod qu’il a volé dans le métro. Cette rencontre avec la beauté et l’art provoque chez lui un état de transe – ainsi que de grands bouleversements
pour le couple. À l’apogée du drame, il se fait surprendre par la patronne qui revient chez elle.

 

Se reconnaître par l’art

 

Lorsqu’on lui demande si elle croit au pouvoir de l’art, Fanny Britt parle prudemment. «J’ai spécifiquement choisi la musique. C’est l’art qui a provoqué chez moi ce genre de vibrations-là, plus qu’un autre art.» Elle pèse chacun de ses mots car elle craint que son discours soit perçu comme une déclaration présomptueuse sur le pouvoir de l’art. «C’est une impression de fulgurance où tout à coup on a l’impression d’être reconnu, explique-t-elle. De trouver quelque chose qui nous révèle qui on est.» Dans Chaque jour, la rencontre avec la musique bouleverse les personnages de Jo et Lucie. «Il faut dire que c’est un couple qui vit déjà beaucoup dans la violence l’un envers l’autre», raconte l’auteure. Leur relation oscille entre un combat verbal incessant et une attirance sexuelle sauvage. «Ils ne sont pas dans la douceur. Ils sont rugueux dans leur existence, ils sont rugueux partout. Ils sont rugueux l’un envers l’autre, ils sont même rugueux dans leur vision du monde», précise-t-elle. L’événement ébranle les personnages au point de les transformer et de les pousser dans leurs retranchements. « Pour moi, affirme l’auteure, ce sont des personnages très engourdis dans leur existence. Et quand ils sont confrontés à eux-mêmes, ils ne peuvent pas le prendre. La charge est trop forte. La vibration est trop grande. Donc, ça retourne le personnage de Jo contre lui-même, contre sa blonde»

 

Malléable au théâtre, rigide en littérature

 

Une première version de la pièce a été présentée en 2009 lors d’une lecture au Festival du Jamais Lu. Dans cette première mouture, seuls les deux protagonistes du couple y figuraient. Intéressé à monter la pièce, le metteur en scène Denis Bernard lui a suggéré de faire apparaître la patronne à un moment dans le récit. Une suggestion qu’elle trouvait intéressante et qui l’a poussée à créer le troisième personnage, Carole. L’auteur est l’une des parties qui forment le tout d’un spectacle, selon Fanny Britt. Au théâtre, il y a toutes sortes d’intervenants qui travaillent directement dans la matière de création, contrairement à d’autres formes d’art où l’on pétrit seul les matériaux. Elle a donc procédé à la réécriture de la pièce de manière consensuelle. «Plus ça va, plus je me perçois, en tant qu’auteure, comme quelqu’un qui doit obéir à cette règle-là; une règle morale d’être malléable.» Fanny Britt insiste, cette règle lui est personnelle : «Beaucoup d’amis auteurs dramatiques ne pensent pas comme moi. Pour eux, le texte est vraiment au centre de l’expérience théâtrale. Mon impression est qu’au théâtre, le metteur en scène se situe plus au centre que l’auteur.» En littérature, l’auteure avoue avoir une autre approche, une attitude plus protectrice. «Je me rends compte que quand j’écris des livres, je suis plus rigide. J’ai plus de difficulté à laisser aller des choses, à accepter qu’on change la syntaxe, qu’on change le rythme d

e ce que j’écris. J’ai un rapport beaucoup plus susceptible avec un éditeur qu’avec un metteur en scène», termine l’auteure.

 

 

 

Fanny Britt écrit, a du succès et vit de sa plume. elle écrit pour le théâtre et la télévision. elle écrit aussi des livres jeunesse et commence à écrire pour le cinéma. elle écrit surtout quand son tout jeune garçon de deux ans dort ou est à la garderie. elle écrit tous les jours, «dans 14 cahiers différents, en bordel un peu partout dans la maison». Une fois ses idées en place, elle s’installe à l’ordinateur et écrit des pièces souvent teintées d’humour qui posent un regard incisif sur sa génération et la société qui l’entoure.