Reconnaître LES NOONS DU SÉNÉGAL

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Par Antoine Trussart
mardi 4 février 2020
Reconnaître LES NOONS DU SÉNÉGAL
Rich'Art Ndione en prestation au concert du 18 janvier à Thiès. Photo : Courtoisie Courtoisie Clap’Africa
Rich'Art Ndione en prestation au concert du 18 janvier à Thiès. Photo : Courtoisie Courtoisie Clap’Africa
Le samedi 18 janvier à Thiès, au Sénégal, a eu lieu le lancement de l’album Mbilim Noon : d’hier à aujourd’hui, point culminant d’une collaboration entre le doctorant en ethnomusicologie à l’UdeM Anthony Grégoire et l’artiste mbilim Rich’Art Ndione. La parution de cet album se veut le premier jalon vers la reconnaissance de la culture noon, tant au pays qu’à l’international.
« Alors qu'on était dans une optique de patrimonialisation d'une culture qui allait disparaître, on assiste à un revivalisme et une revitalisation assez impressionnante chez les jeunes. »
Anthony Grégoire, doctorant en ethnomusicologie UdeM

Selon les estimations des musiciens Anthony Grégoire et Rich’Art Ndione, quelques milliers de personnes se sont déplacées des villages environnants pour assister au concert de lancement du disque sur la promenade des Thiéssois, une vaste place centrale de Thiès, une ville du Sénégal de 320 000 habitants. Une première, selon M. Ndione. « Ça ne s’était jamais vu, un artiste thiéssois qui la remplit à lui seul », déclare-t-il.

Une rencontre décisive

Les travaux d’Anthony portaient initialement sur l’étude de l’influence des missionnaires catholiques sur l’expression musicale des Noons. Depuis sa rencontre avec M. Ndione, il y a un peu plus d’un an, l’ethnomusicologue a recentré ses recherches sur le mbilim et offre une visibilité au combat de l’artiste pour la reconnaissance de son peuple. « Chaque fois que je parle de mes recherches, je parle de son combat, explique le doctorant. Je parle de cette problématique très lourde qui est celle de l’effacement des Noons. » Les deux hommes réalisent rapidement que leurs intérêts respectifs sont complémentaires et se lancent dans un projet de modernisation du mbilim.

Le mbilim

« Le mbilim, c’est pratiquement un mode de vie », affirme Anthony. Pour des Occidentaux, il peut être vu comme une expression musicale, mais pour les Noons, chez qui le mot « musique » n’existe pas, la réalité est toute autre.

« Le mbilim est le quotidien des Noons, c’est la communication, précise M. Ndione. C’est la danse, les chants, le rythme. » Il ajoute que bien qu’il soit joué souvent de manière improvisée, il peut être interprété de façon formelle avec un ensemble de cinq tambours sabars ou de façon plus informelle sans percussions, au rythme des pas.

Selon le musicien, le mbilim n’est pas assez reconnu parce qu’il n’existe pas de statut particulier pour les artistes dans sa communauté. « Les gens se sentent tous artistes », explique-t-il. Il constate que les Noons, une population d’environ 10 000 personnes, sont pratiquement absents du paysage culturel de la région de Thiès. Selon Anthony et son directeur de thèse à l’UdeM, l’anthropologue Bob White, bien que les Noons soient originaires de la région, leur statut comme peuple autochtone du Sénégal n’est pas reconnu.

Selon M. White, le travail de documentation qu’effectue Anthony sur les Noons montre que cette communauté existe sur le territoire depuis des siècles et qu’elle a des pratiques différentes des groupes qui l’entourent.

Un projet collaboratif international ambitieux

17L’idée de produire un disque de morceaux de mbilim est devenue réalité l’été dernier lors d’une séance d’enregistrement dans l’enceinte de l’ancien fort de Thiès, devenu aujourd’hui le Musée régional de la ville. Une séance très intime, selon Anthony. M. Ndione et son groupe ont enregistré là onze mbilims allant des plus traditionnels, simplement composés de voix et de tambours sabars, aux plus modernes avec clavier, batterie et également guitare électrique, jouée par Anthony.

À la suite de l’enregistrement, les pistes sonores se sont envolées vers Montréal pour les étapes de mixage et de mastering. S’en est suivi un long processus d’allers-retours entre l’équipe de Montréal et les musiciens de Thiès pour décider comment adapter le mbilim afin qu’il s’écoute sous la forme de chansons. « L’album qu’on a réussi à obtenir, c’est un album qui matérialise le mbilim d’antan à celui d’aujourd’hui, mais qui a une sonorité qui appartient à lui seul à l’international », développe Anthony.

L’ethnomusicologue voit sa participation active à la modernisation du son du mbilim comme un passage de la recherche appliquée à la « recherche impliquée ». Son directeur de thèse considère plutôt cette façon de faire comme une « approche collaborative », qui permet à son étudiant de combiner ses deux rôles de chercheur et de musicien activiste.

De la sauvegarde à la revitalisation

La réaction de la communauté noon aux travaux de M. Ndione et d’Anthony a été généralement très positive, selon eux. « Alors qu’on était dans une optique de patrimonialisation d’une culture qui allait disparaitre, on assiste à un revivalisme et une revitalisation assez impressionnante chez les jeunes », affirme M. Grégoire.