Projet de loi 20 : des quotas qui divisent

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Par Camille Feireisen
mercredi 11 mars 2015
Projet de loi 20 : des quotas qui divisent
Le mémoire déposé en commission parlementaire le 25 février dernier par les doyens des quatre facultés québécoises de médecine est accessible sur le site de la faculté de médecine. (Crédit photo : Isabelle Bergeron)
Le mémoire déposé en commission parlementaire le 25 février dernier par les doyens des quatre facultés québécoises de médecine est accessible sur le site de la faculté de médecine. (Crédit photo : Isabelle Bergeron)
Alors que plusieurs doyens des facultés de médecine d’universités québécoises se mobilisent pour dénoncer le projet de loi 20 annoncé par le ministre de la Santé et des Services sociaux, Gaétan Barrette, les étudiants en médecine de l’UdeM s’inquiètent des répercussions possibles de cette législation sur leur choix de carrière.
« L’ensemble de ce projet va à l’encontre de ce que nous apprenons à l’université, soit de prendre le patient dans son ensemble, avec toutes ses composantes […] »
Aymeric Barbarino, Étudiant en deuxième année de médecine

Le projet de loi 20 prévoit imposer des quotas de patients aux médecins de famille sous peine d’une pénalité financière (voir encadré). Ceci constituerait une réforme fragilisant la formation en médecine selon la vice-doyenne aux études médicales postdoctorales, Josée Dubois.« On ne peut pas endosser ce projet tel quel, assure-t-elle. Ces quotas ne tiennent pas compte des activités d’enseignement, de formation et de recherche des médecins qui s’ajoutent à la pratique. »

Les étudiants médecins ne sont pas plus convaincus par cette réforme, estime l’étudiante en deuxième année d’externat en médecine Véronique Charron. « Des médecins se sont amusés à compter le temps d’une consultation pour respecter les quotas et ça donne des chiffres improbables, comme six à sept minutes par patient, c’est absurde », prévient-elle.

Des quotas toutefois nécessaires selon le président de l’Association libérale de l’UdeM et étudiant au baccalauréat en communication et politique, Marc Du Perron. « J’appuie le ministre Barrette dans ses démarches avec le projet de loi 20, car je crois que ça va améliorer l’accessibilité aux soins de première ligne, soutient-il. D’ailleurs, le Conseil du statut de la femme révèle que ce n’est pas à cause d’un manque de budget ou de médecins, mais à cause de “l’organisation des soins de première ligne”. »

Un secteur moins attrayant pour les étudiants

Bien que conscient du problème d’accès aux médecins de famille, le corps médical enseignant s’interroge sur la pertinence du projet de loi 20, selon la D re Dubois. D’après la vice-doyenne, le gouvernement, qui espère progressivement augmenter le nombre de médecins de famille à 55 % (pour 45 % de spécia­listes), ne va pas dans le bon sens. « Ce projet de loi risque plutôt de produire l’effet inverse, en rendant la profession moins attrayante pour les étudiants », précise-t-elle. Les médecins spécialistes représentent actuellement 51 % de tous les médecins du Québec selon les chiffres de 2011 de l’Institut canadien d’information sur la santé.

Pourtant, au cours des dix dernières années, le nombre d’entrées en médecine familiale a doublé, indique le mémoire rédigé par les doyens des facultés de médecine des universités de Montréal, de McGill, de Sherbrooke et de Québec (Université Laval) et présenté à la Commission de la santé et des services sociaux le 25 février dernier. Pour cela, des efforts auraient été fournis par le ministère de la Santé et des Services sociaux, mais aussi dans les facultés de médecine, selon la vice-doyenne. « L’opération séduction a d’ailleurs plutôt bien fonctionné, mais ce projet de loi dessert complètement cet objectif », explique Véronique.

La jeune femme a choisi en novembre dernier de présenter une demande d’admission en médecine familiale, au moment où le projet de loi 20 a été annoncé par le ministre de la santé. « Dans ma cohorte, on a été pris au dépourvu, il était impossible de retourner en arrière, car toutes les démarches étaient déjà lancées », raconte-t-elle. La question se posera surtout pour les prochaines promotions, d’après elle.

Inadapté au cursus

Au premier cycle, l’étudiante en deuxième année de médecine Flavie Turpin raconte que certains de ses collègues sont inquiets et doutent de leur choix de carrière. « La médecine en général, et particulièrement la médecine familiale, nécessite de prendre du temps pour comprendre non seulement la maladie du patient, mais aussi ce que celle-ci implique pour le malade, souligne-t-elle. On ne peut pas évaluer la performance d’un médecin sur un rendement de patients. »

Selon elle et l’étudiante Véronique Charron, ce projet a tendance à mettre davantage de pression sur des étudiants déjà anxieux. « La Faculté de médecine essaie de nous soutenir pendant ces études parfois difficiles et voilà que le ministre de la santé fait passer les médecins pour des paresseux, ce n’est pas sérieux », rapporte Véronique.

Aussi étudiant en deuxième année de médecine, Aymeric Barbarino pense que le gouvernement doit proposer des améliorations en matière de santé, mais pas dans ce sens. « L’ensemble de ce projet va à l’encontre de ce que nous apprenons à l’université, soitde prendre le patient dans son ensemble, avec toutes ses composantes, et non pas commeayant un trouble unique que l’on peut trier comme “classé” après l’avoir rencontré et lui avoir prescrit des médicaments, note-t-il. Ce projet de loi peut faire penser à certains que la médecine de famille n’est plus leur premier choix pour l’avenir. »

Selon Josée Dubois, des sondages réalisés à l’UdeM auprès des étudiants externes finissants révèlent qu’avant le projet de loi 20, plus de 60 % des externes ont envisagé de choisir la médecine familiale comme choix de carrière. « Ils ne seraient plus que 39 % à faire ce choix », déplore la vice-doyenne.

Des formations amoindries ?

La Dre Dubois s’inquiète aussi pour les médecins-enseignants, comme elle, qui ne pourront pas jongler entre l’augmentation des heures obligatoires et la formation de leurs étudiants, au détriment de ces derniers. « Il y a déjà des professeurs qui sont venus me voir pour me dire qu’ils pensent arrêter l’enseignement », regrette-t-elle.

Du côté des doyens des facultés de médecine des universités Laval, de Montréal, McGill et de Sherbrooke, ceux-ci demandent dans leur mémoire un statut pour les médecins-enseignants, une approche géographique pour cartographier les besoins populationnels et une collaboration avec le gouvernement. « Pour l’instant, on reçoit de l’information, mais il n’y a pas de discussion », affirme la Dre Dubois. Ces doyens listent six principes fondamentaux pour le projet de loi 20. Parmi ceux-ci, la reconnaissance des spécificités de l’enseignement et de la recherche en médecine.

« Il faut cependant faire attention, car si c’est ce qui fait le plus réagir, la loi 20 ne concerne pas exclusivement les médecins de famille, rappelle Aymeric. Elle établit aussi des réformes, entre autres, pour les médecins spécialistes, ainsi que certaines restrictions relatives à la procréation médicalement assistée. »

Le président de la Fédération des médecins omnipraticiens, Louis Godin, a fait une sortie médiatique le 2 mars dernier pour aviser la population que le projet de loi pourrait compromettre l’enseignement médical au campus de la Mauricie de l’UdeM.

Projet de loi 20 en bref

L’objectif

• Améliorer l’accessibilité aux médecins

4 points majeurs

• Assurer le suivi médical d’un nombre minimal de patients sous peine de se voir infliger une pénalité financière pouvant aller jusqu’à 30 % de leur rémunération

• Travailler un nombre minimal d’heures en institution (CHSLD, hôpitaux, etc.)

• Les médecins spécialistes devront eux aussi respecter certaines conditions pour toucher leur pleine rémunération

• Restriction de l’accès aux programmes de procréation assistée

Source : ICI Radio-Canada