Profs à l’écoute

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Par Frédérik-Xavier Duhamel
jeudi 29 novembre 2018
Profs à l’écoute
La professeure Christine Genest est vigilante face aux enjeux de santé mentale étudiante. Ses projets de recherche portent sur la prévention du suicide. Crédit photo : Benjamin Parinaud.
La professeure Christine Genest est vigilante face aux enjeux de santé mentale étudiante. Ses projets de recherche portent sur la prévention du suicide. Crédit photo : Benjamin Parinaud.
Pour mobiliser la communauté universitaire autour de l’enjeu de la santé mentale étudiante, l’UdeM a mis sur pied un réseau de sentinelles. Quartier Libre s’est entretenu avec quatre professeurs, dont deux en sont membre. Quel rôle les enseignants universitaires peuvent-ils jouer auprès des étudiants pour maintenir leur bien-être psychologique ?

«Quand j’étais toute jeune prof, des étudiants venaient me voir pour se confier, pleurer dans mon bureau et moi je ne savais pas du tout comment gérer ça », se souvient la professeure de géographie Julie Talbot. Elle estime que les formations du réseau de sentinelles lui ont appris à réagir adéquatement.

Pour la professeure à la Faculté de sciences infirmières Christine Genest, les formations du réseau sentinelles [voir encadré] lui ont appris jusqu’où elle pouvait aller pour aider les étudiants en détresse mentale. « Je connais mon rôle comme infirmière, mais dans le contexte [du réseau de] sentinelles ce n’est pas exactement la même chose », explique celle qui donne des cours sur la santé mentale. Elle juge également bénéfique d’avoir pris connaissance des différents services disponibles pour les étudiants, qui sont parfois méconnus de ses collègues.

Pas pour tous

Selon Mme Talbot, tout le personnel doit être sensibilisé aux enjeux de la santé mentale. « Le rôle du réseau de sentinelles est particulier puisqu’on reçoit des formations spéciales et qu’on a démontré un intérêt plus marqué pour la santé mentale des étudiants », nuance-t-elle. Pour la professeure, tous les enseignants n’ont pas la même capacité d’écoute, et elle estime qu’il est préférable que le programme demeure sur une base volontaire. Ces propos trouvent écho chez Mme Genest. « Ce n’est pas parce que tu es prof que tu as de l’empathie d’emblée» expose-t-elle.

Trouver les ressources

Le professeur à la Faculté de droit Alain Roy enseigne dans l’un des programmes où les étudiants présentent le plus de symptômes dépressifs, selon l’enquête sur la santé psychologique étudiante de la FAÉCUM de 2016. Ce serait particulièrement vrai après les examens intratrimestriels. « La détresse est visible, parce que les étudiants viennent nous voir individuellement et nous envoient des messages, dévoile-t-il. On est capables de saisir l’angoisse derrière. » Selon lui, le rôle d’un enseignant dans ce contexte est très délicat. « On n’est pas des psys », explique-t-il.

Sa collègue à la Faculté de droit, la professeure Julie Biron, estime que l’ensemble des professeurs ont conscience du problème. La prise d’action n’est cependant pas généralisée en raison de moyens limités. Selon ses dires, tous ne sont pas nécessairement au courant des ressources existant à l’Université ou n’ont pas le temps de créer des liens de confiance avec chacun des étudiants.

Mme Biron est à l’origine du PADUM [voir encadré], une initiative ayant inspiré des projets similaires dans d’autres facultés. Elle précise qu’obtenir un local et des fonds n’a pas été de tout repos. « Il a fallu que je me batte pour que ce soit mis en place », se rappelle-t-elle.

Alléger la charge mentale en classe

Certains acteurs du milieu universitaire* élèvent leurs voix en faveur de dates de remise de travaux plus flexibles afin d’accommoder les étudiants souffrant de problèmes de santé mentale. Cette mesure ne fait pas l’unanimité. Pour M. Roy, cela risque ainsi de créer des brèches dans l’équité. « Il ne faut pas donner non plus des instruments à des étudiants qui pourraient vouloir manipuler le système », argumente-t-il.

Le spécialiste du droit de la famille préconise une approche personnalisée dans la correction des examens, mais pointe vers le manque de ressources à sa disposition. « À 200 étudiants je ne peux pas me permettre des rencontres individuelles », affirme-t-il. Il pense toutefois que ce serait un rôle tout désigné pour les correcteurs, si l’Université y consacrait les fonds nécessaires.

Julie Talbot ne voit pas les choses du même œil. Elle souligne qu’un billet du médecin est généralement demandé pour justifier une absence ou un retard à une évaluation. « C’est tout aussi handicapant de vivre la détresse psychologique que de vivre une blessure physique ou une maladie, mais c’est beaucoup plus difficile de le faire accepter », soulève-t-elle. Mme Talbot affirme d’ailleurs être intervenue auprès de collègues pour suggérer des arrangements avec des étudiants qui vivaient des situations difficiles.

*MOORE, Andrew [2018], University Affairs, « In Defence of Late Papers ».

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