Printemps érable : cinq ans plus tard

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Par Julien Tardif
mercredi 8 mars 2017
Printemps érable : cinq ans plus tard
Les associations étudiantes ont beaucoup changé depuis 5 ans, mais ils restent sur leurs positions. Crédit : Flickr.com, Thien
Les associations étudiantes ont beaucoup changé depuis 5 ans, mais ils restent sur leurs positions. Crédit : Flickr.com, Thien
La grève étudiante de 2012 a créé un profond clivage au sein de la société québécoise, principalement entre les associations étudiantes et le gouvernement provincial. Cinq ans plus tard, au moment d’une concertation sur les violences sexuelles sur les campus, Quartier Libre se questionne sur l’évolution de ces relations.

Si tous les acteurs s’entendent sur le rôle majeur qu’a joué l’absence de communication entre le gouvernement et les représentants étudiants dans le conflit de 2012, la situation actuelle semble différente pour l’UEQ. « En 2012, le gouvernement libéral a refusé de rencontrer les étudiants durant plusieurs mois, remarque le président de l’UEQ Nicolas Lavallée. Aujourd’hui, c’est différent. Nous avons rencontré la ministre à plusieurs reprises, de façon formelle et informelle, depuis notre entrée en fonction. »

La stabilité qu’amène Hélène David est toutefois saluée après une chaise musicale au ministère de l’Éducation interminable, selon le président de l’UEQ. Pour lui, la communication est meilleure avec les instances gouvernementales, mais il n’existe toujours pas de structure prédéfinie et stable pour une liaison entre les préoccupations étudiantes et la prise de décision. « Sans penser naïvement qu’on sera toujours d’accord sur tout, je crois que plus on se rencontrera pour discuter des enjeux, moins il y aura de mauvaises surprises, et plus il sera facile de trouver un consensus aux problèmes de l’enseignement supérieur », conclut Nicolas Lavallée.

À son arrivée au poste de ministre de l’Enseignement supérieur, Hélène David avait comme priorité de rétablir les ponts avec les étudiants. « Les associations étudiantes sont des partenaires très précieux à qui je parle souvent, affirme la ministre. Ce sont pour les étudiants que nous faisons ce travail. »

Fidèle à ses positions

L’ASSÉ admet que ses revendications demeurent sensiblement les mêmes depuis la grève. « On se positionne contre le concertationnisme [sic]. La lutte s’est faite par la combativité, par le syndicalisme de combat, avec les actions et manifestations, souligne rapidement la secrétaire aux affaires externes de l’ASSÉ, Rosalie Rose. On n’a pas changé cette ligne-là. C’est par la combativité qu’on crée un rapport de force. Ça a toujours existé à l’ASSÉ. »

Une position partiellement partagée par l’AVEQ, qui soutient l’importance de conserver des liens avec le gouvernement, mais pas à n’importe quel prix. « Nous avons communiqué à plusieurs occasions avec la ministre. Sans être excellentes, les lignes de communication existent, note le coordonnateur général de l’AVEQ, Christopher Gyorffy. Il reste que si le gouvernement n’a aucune raison d’écouter, outre maintenir le dialogue, aucun grand changement n’en résulte. Je ne crois pas qu’une structuration du discours étudiant changerait grand-chose. Ce n’est pas communiquer qui est difficile, c’est plutôt s’assurer que la ministre n’entende pas seulement ce qu’elle veut entendre. »

Nonobstant un lien de communication amélioré, les leçons de 2012 incitent l’ASSÉ et l’AVEQ à demeurer prudentes et surtout mobilisées. « Les évènements de 2012 ont justement prouvé que l’approche orientée uniquement sur le lobbyisme étudiant a échoué, et qu’avant d’aller parler avec le gouvernement, il est important d’avoir une population mobilisée, ajoute Christopher. Nous avions le rapport de force, c’est ce qui a forcé le gouvernement à intervenir. »

Dans un cadre politique qui bouge rapidement et qui laisse peu de temps pour souffler, cinq années sont rapides pour améliorer une relation effritée, selon la professeure en science politique de l’UdeM, Pascale Dufour. « L’absence de communication était la raison principale de l’escalade du conflit, remarque-t-elle. Mais mon impression générale de la situation est que les étudiants ont vécu depuis 2012 une réorganisation importante de leur fédération, ce qui les a amenés à être plus tournés vers l’interne. »

Le sujet du conflit est également un élément important à prendre en compte, qui laisse peu de place à une amélioration des relations. « Chaque société a ses vaches sacrées, comme l’assurance maladie ou les droits de scolarité au Québec, qui font énormément réagir, remarque le professeur titulaire au Département de science politique Gérard Boismenu. Le gouvernement a été surpris de la mobilisation étudiante, et son discours sur l’université n’est toujours pas assumé, n’est pas reconstruit. Au final, ce sont les universités qui ont le plus souffert du conflit, coincé entre leurs étudiants et le gouvernement.»

Travail de longue haleine

Nicolas Lavallée reconnaît que faire avancer les recommandations au haut de leur liste demande beaucoup de travail et de patience. La ministre Hélène David se montre toutefois ouverte devant des revendications claires appuyées d’un argumentaire crédible. Ce serait ce travail de préparation qui aurait permis à l’UEQ et ses partenaires de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ) de convaincre la ministre d’augmenter l’aide financière aux études en décembre dernier. Un dossier qui réjouit particulièrement Hélène David. « Les associations étudiantes ont des mémoires très étoffés, très documentés. Dans ce dossier, j’ai échangé longuement avec eux, en toute collaboration, rappelle-t-elle. Je suis particulièrement fière que les associations étudiantes aient choisi de soutenir davantage les étudiants chefs de famille monoparentale avec ce réinvestissement. »

Une collaboration encouragée et possible lorsque les partis impliqués vont dans la même direction. « Oui, lorsqu’on travaille sans relâche et de façon planifiée, nos revendications sont écoutées et défendues par la ministre, affirme Nicolas. Dans les prochains mois, nous aurons la chance de voir si ce scénario se répétera lors du dépôt du rapport Corbo à la suite des consultations sur les violences sexuelles sur les campus, un projet auquel nous avons grandement participé. »

Cette vision n’est toutefois pas partagée par l’ASSÉ et l’AVEQ notamment, qui ont publié une lettre ouverte pour dénoncer le processus de consultation actuel, même s’ils approuvent l’initiative de départ. « La ministre a d’abord invité les recteurs et les administrations à se pencher sur la question, rappelle Rosalie Rose. On demande qu’une plus grande place soit faite aux survivantes. »

Si le lien de communication est désormais plus facile avec le gouvernement pour certaines associations étudiantes, l’ASSÉ et l’AVEQ demeurent sceptiques et préfèrent la voie de la mobilisation. Chaque débat, chaque enjeu amène ses différentes prises de position, sur une ligne toujours mince entre consultation et confrontation.

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