Comment rendre accessible la sociologie au grand public pour qu’il s’en serve comme une arme de défense intellectuelle ? C’est ce que découvriront les personnes qui assisteront à la projection du documentaire La Sociologie est un sport de combat, consacré au sociologue français Pierre Bourdieu, le 14 décembre, à l’UdeM.
Comprendre le travail de Pierre Bourdieu à travers ses livres peut s’avérer une tâche difficile. Le documentariste français Pierre Carles a donc décidé de passer par le cinéma pour montrer ce qu’est le travail du sociologue et ainsi partager la pensée de Bourdieu.
M. Carles a filmé Pierre Bourdieu de 1998 à 2001 en le suivant lors de ses interventions publiques, de ses entrevues avec les journalistes et pendant ses réunions de travail à l’École des hautes études en sciences sociales (EHESS) ou au Collège de France. «De l’extérieur, ça peut paraître ennuyeux, car ce n’est pas intense comme un film d’action, précise le professeur adjoint au Département de sociologie de l’Université McGill et intervenant du ciné-débat, Marcos Ancelovici. Le documentaire montre bien qu’il était proche de la réalité des gens. Lui aussi avait une vie banale. Ça participe à la désacralisation de la figure de Bourdieu, cela facilite son accessibilité.
C’est aussi un bon moyen pour les néophytes d’entrer dans l’univers et la pensée de ce sociologue.» La projection du documentaire, sorti en 2001, est associée à un séminaire universitaire consacré au livre Sur l’État de Pierre Bourdieu, qui aura lieu la veille de la projection à l’UdeM. «Le but est de lier les évènements universitaires avec des évènements culturels plus accessibles, notamment des ciné-débats ou des pièces de théâtre, soutient le titulaire de la Chaire d’études de la France contemporaine du Centre d’études et de recherches internationales (CERIUM), Fabien Desage. «Au delà de la démarche pédagogique, c’est une porte d’entrée sur la culture», rajoute celui qui est à l’initiative de la projection.
La sociologie comme arme d’émancipation sociale
Bourdieu essayait d’outiller et d’armer son public pour qu’il se libère des préjugés, de l’opinion communément admise que le sociologue appelle « doxa ». Il incitait ses concitoyens à s’interroger sur la domination sociale que les dominés perçoivent comme légitime et naturelle, et qu’ils intériorisent. Bourdieu a conceptualisé ce phénomène sous le nom de «violence symbolique». Une domination qu’il estimait également subie par les Québécois.
D’ailleurs, en 2001, soit un an avant sa mort, il les a appelés, dans un message vidéo, à résister à la mondialisation économique lors du Sommet des peuples qui s’est déroulé à Québec.
Selon M. Ancelovici, la pensée bourdieusienne permet de s’affranchir de l’influence de la société, du système sur les individus, c’est-àdire des déterminismes sociaux. «Bourdieu permet de comprendre la société et les phénomènes qui s’y déroulent. Il disait : “Nous naissons déterminés et nous avons une petite chance de finir libres.” » La sociologie de Pierre Bourdieu permet de donner les outils nécessaires pour comprendre les mécanismes sociaux et s’en émanciper .
Le professeur de sociologie de l’UdeM, Jacques Hamel, qui enseigne un cours sur le sociologue français, voit la pensée de Bourdieu comme un bouclier intellectuel. «Je dis toujours à mes étudiants que connaître Bourdieu ne va pas les aider à trouver du travail. Néanmoins, être familier avec la pensée de Bourdieu constitue un enrichissement afin de tirer son épingle du jeu et d’exercer un jugement critique au sein de l’entreprise, dans le cadre du travail ou de la vie quotidienne.»
Le «printemps érable» à la lumière de Bourdieu
Les théories de Bourdieu constituent aussi une bonne grille d’analyse afin d’expliquer et de comprendre le mouvement étudiant du printemps dernier. « La pensée bourdieusienne peut s’appliquer au “printemps érable”, estime M. Ancelovici. Par exemple, la pensée dominante, la “doxa”, voulait instaurer l’idée que l’éducation est un bien avec une relation d’utilisateur-payeur. Or, les étudiants n’ont pas accepté cette conception.
Ils ont mis en place une pensée différente de celle imposée. » Comme le souligne M. Hamel, Bourdieu permet d’aller au delà des aspects économiques soulevés par le mouvement. «Les étudiants ne manifestaient pas seulement contre la hausse, mais aussi pour montrer leur ras-le-bol global de la vision utilitariste des études pendant lesquelles on privilégie l’acquisition de compétences et non plus de connaissances.» La rentabilité des études comme violence symbolique? Une piste de réflexion intéressante, alors que les débats en vue du Sommet sur l’enseignement supérieur de février prochain ont commencé.
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La sociologie est un sport de combat : pari réussi
Démocratiser la sociologie à travers un film est un défi. Pourtant le réalisateur français Pierre Carles y parvient dans son long métrage consacré à Pierre Bourdieu La sociologie est un sport de combat .
Pendant un peu plus de 2h20, le film nous plonge dans le quotidien professionnel du penseur, à savoir dans ses bureaux, lors d’entrevues télévisuelles ou quand il dispense des cours .
Il déconstruit l’image sacrée et lointaine que l’on pourrait avoir de la sociologie, du travail de sociologue et de Pierre Bourdieu. Ce dernier y est montré comme un homme simple et accessible, qui n’hésite pas à s’arrêter dans la rue quand une dame l’interpelle pour lui témoigner son admiration et l’impact qu’il a eu dans sa vie d’étudiante.
Il va à la rencontre des autres et écoute ceux à qui la parole est souvent trop peu donnée. Bourdieu exprime ses concepts avec clarté au cours de ses entrevues avec des journalistes espagnols, à la Radio Droit de cité à Mantes-la-Jolie ou de sa rencontre publique dans cette ville pauvre de la banlieue parisienne .
Ce film est au final une véritable boîte à outils pour tous ceux qui veulent s’initier aux théories de Bourdieu mais que la lecture de ses ouvrages rebute. Le sociologue y donne des armes intellectuelles à ses semblables pour se défendre, telle que la remise en cause de la parole des intellectuels dominants. En ce sens, la sociologie est un sport de combat .