L’indignée Charlebois

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Par Pascaline David
mardi 29 novembre 2011
L'indignée Charlebois

Camp des indignés, 37e jour d’occupation. Il fait froid, et demain il neigera. Je rencontre Isabelle Charlebois, étudiante à temps plein à l’UQAM au baccalauréat en arts visuels et médiatiques, sur une table de pique-nique installée face à une yourte mongole chauffée. Je ne sais pas pourquoi on ne s’installe pas au chaud, mais je n’ose pas le demander. Je me suis donné le mandat de brosser le portrait d’Isabelle ; autant la prendre dans son environnement naturel, en plein air et à ciel ouvert au square Victoria.


 

Square Victoria, au lendemain du démontage du campement des indignés. Crédit Toma Iczkovits

 

 

« Quand je suis arrivée sur le campement, c’était tellement sympathique, je me sentais comme chez moi et j’avais tellement de choses à dire à travers ce mouvement-là ! Les gens sont fascinants à rencontrer ici. Il y a des gens qui sont des drôles de personnages, mais il y a aussi des gens qui ont énormément de choses à dire et qui sont vraiment pertinents dans un paquet de causes différentes », raconte Isabelle Charlebois en réponse à mes questions sur les motifs de son implication dans le mouvement des indignés.

Isabelle a déserté son appartement d’Hochelaga-Maisonneuve depuis plus d’un mois pour se joindre au mouvement des indignés, et se réveiller chaque matin dans le quartier des affaires.

Conscience effervescente

L’étudiante de 26 ans parle en son nom parce que «c’est horizontal et qu’on veut que les gens soient égaux», mais certains autres indignés semblent la considérer comme une porte-parole du mouvement. Isabelle parle beaucoup de dialogue, d’itinérance, de tipis et de maisons, de problèmes sociaux, de pourriture et de nourriture, de redistribution de la richesse.

Elle évoque aussi souvent l’égalité. «Le matin, raconte-t-elle, je déjeunais ici avant d’aller à l’école, je m’assoyais avec des madames qui n’ont pas de dent dans la bouche, avec des itinérantes que j’ai toujours jugées quand je marchais dans les rues, […] ici j’étais assise, face à face, au même niveau qu’eux, je mangeais avec eux le matin, et ça, ça m’a fait énormément réfléchir à plein de choses, entre autres au problème de l’itinérance, mais à bien d’autres choses aussi.» Isabelle insiste maintenant sur l’importance de prendre un temps d’arrêt pour échanger, soulever des problèmes et trouver des solutions.

Revendiquant essentiellement une réforme en profondeur du système qui fasse en sorte que le bien-être de l’être humain domine l’appât du gain, Isabelle s’est engagée dans divers secteurs du mouvement des indignés. Elle a, entre autres, aidé à la cuisine, participé aux trois ou quatre assemblées générales qui se sont tenues chaque semaine et a contribué à rebâtir le camp chaque fois que la Ville de Montréal le demandait pour des raisons de sécurité. Elle a aussi accroché dans les arbres des rubans sur lesquels étaient écrits différents mots (inclusivité, non-violence, etc.) rappelant l’esprit du camp, «un genre de rappel joli de ce qui se passe ici», dit-elle.

S’il faut le rappeler, elle étudie en même temps à temps plein

Isabelle raconte que son implication sociale ne l’a pas freinée sur le plan scolaire, bien au contraire. Elle laisse même tomber que c’était «plus facile». «En n’étant pas à la maison, en étant dans une autre atmosphère, dit-elle, je me levais et je n’avais pas grand-chose à quoi penser. Je m’habillais, pas besoin de penser à ce que j’allais mettre, soit j’allais aider avec la cuisine, soit le déjeuner était déjà prêt, alors j’emballais mon lunch, je partais pour l’UQAM, j’arrivais avec de super beaux déjeuners, je faisais des jaloux dans ma classe.» De super beaux déjeuners ? Isabelle parle de crêpes aux fruits, de compote de pommes chaude, de chocolat et d’amandes. Comme quoi, un indigné, ça sait aussi cuisiner.

La jeune femme explique que son implication l’a peut-être détournée un tout petit peu de l’école, mais seulement pour mieux y revenir.

«Je pense que ça s’orchestre bien avec mes études, c’est une sensibilité de plus que je peux développer et qui va faire partie de ma démarche artistique», réfléchit-elle. Et puis de toute façon, sa priorité est de bâtir un filet social à l’extérieur des murs de l’UQAM, pour « pouvoir vivre dans une société qui a de l’allure. » Elle cherche à réinvestir, entre autres par l’art, l’espace qui appartient au peuple.

Se présentant comme une citoyenne mobilisée, Isabelle ne sait pas trop quels fruits portera le mouvement des indignés, mais elle semble satisfaite d’avoir réussi, avec d’autres, à prouver que le peuple était capable de s’organiser dans la dignité. «Ça ne sera pas surprenant, quand on va sortir d’ici, de se rendre compte qu’il y a un paquet de réseaux locaux qui sont en train de se former et de se développer », prédit-elle.

Je lui ai demandé, si je lui offrais la possibilité de commencer cet article par une citation, ce qu’elle aimerait communiquer. Elle a dit : «Je ne pense pas que la révolution va se faire sans les artistes. Les artistes ont toujours été à l’avant-garde des mouvements sociaux. Ça prend plus d’artistes ! La révolution, ça peut être sérieux, mais ça peut être l’fun aussi. Si on l’amène de façon intelligente, amusante et créative, on peut rejoindre toutes les sphères de la société. On n’a pas à toujours être moralisateur pour changer les choses, mais juste à appuyer sur les bons pitons.» Malheureusement, je trouvais que de commencer par «Camps des indignés, 37e jour d’occupation », c’était plus saisissant.

« Maudits médias », pensera peut-être l’indignée Charlebois. Mais bon, le message est là, elle me le pardonnera.

 

Cet article est l’hommage posthume du Quartier Libre à feu Occupons Montréal.


 

Un campement, un carrefour

« I love you. I apologize about me. Say something, I’m gonna cry. My name is Deano, you know me! I love you, Occupy », est l’une des nombreuses interventions ayant eu lieu lors de cet entretien d’une heure et demie avec Isabelle Charlebois. Outre Deano, à qui Isabelle a souhaité de passer une bonne journée, s’est aussi manifesté le citoyen soucieux de savoir si les informations qu’il avait entendues à la radio étaient exactes (« Ha! il y a eu 300 tentes de montées ? À la radio ils disaient 400, j’habite à côté, je trouvais ça bizarre. »), le citoyen politisé qui venait s’enquérir de l’essence du mouvement (« Le problème, c’est que vous exprimez tellement d’idées sociales, ce n’est pas structuré, c’est comme si l’on se retrouvait au point zéro. »), le journaliste de CKUT qui venait se mettre au fait des actions à venir, et finalement Deano, qui déambulait avec sa « sexy mama », mais qui n’est pas resté longtemps.

 

Salut, les indignés. Et à bientôt ?

Repose en paix, Occupons Montréal. Le mouvement est mort le vendredi 25 novembre au matin avec le démantèlement de son campement par les services municipaux, à la suite d’un avis d’éviction émis par la mairie mercredi dernier.

L’opération s’est passée dans le calme, selon Radio-Canada. La plupart des indignés auraient même mis leur indignation de côté pour collaborer au démontage de leurs baraques. Autant pour la récupération du pouvoir et de l’espace public par le peuple… Il y aurait quand même eu 16 interpellations pendant les opérations, sans qu’il soit précisé si elles étaient dues à des actes de résistance ou à de banales infractions aux règlements municipaux.

C’est triste, une révolte qui s’éteint, surtout quand la flamme vacille depuis un bout.

Montréal aura moins usé de la matraque pour remettre les indignés dedans que d’autres villes considérées comme plus réactionnaires. Mais finalement, la Métropole n’aura toléré le mouvement que quelques jours de plus qu’ailleurs. Et cela bien que Gérald Tremblay ait répété à l’envi que son administration et ses administrés partageaient les valeurs des campeurs-frondeurs.

Mais il reste une étincelle : hier, au moment d’envoyer cette édition à l’imprimeur, La Presse a publié que dans les heures qui ont suivi leur expulsion, un noyau dur d’une vingtaine d’indignés a investi un kiosque du Mont-Royal pour continuer l’occupation.

(Antoine Palangié)