L’expression du genre en allemand

icone Culture
Par Kim Jandot
mercredi 13 décembre 2017
L’expression du genre en allemand
Le professeur en études allemandes au Département de littératures et langues du monde Manuel Meune explique sur papiers les déclinaisons des trois genres en allemand. (Photo : Laura-Maria Martinez)
Le professeur en études allemandes au Département de littératures et langues du monde Manuel Meune explique sur papiers les déclinaisons des trois genres en allemand. (Photo : Laura-Maria Martinez)
Le débat sur l’écriture inclusive dans la langue française divise les experts. Ailleurs dans le monde, d’autres se sont posé les mêmes questions et y ont répondu de différentes façons. Le professeur responsable de la Section d’études allemandes du Département de littératures et de langues du monde, Manuel Meune, discute du cas de l’allemand.

Quartier Libre : Comment les genres sont-ils abordés en allemand ?

Manuel Meune : En allemand, il existe trois pronoms : un qui renvoie au masculin, un au féminin et un autre neutre. Il n’existe pas vraiment de logique pour ranger un objet ou un concept dans la case du masculin, du féminin ou du neutre. Par exemple, le mot « soleil », qui est masculin en français, est féminin en allemand.

Pour ce qui est des êtres humains, il existe deux pronoms personnels, l’équivalent de « il » et « elle ». On revient à une logique très binaire, comme en français. La seule neutralité, c’est pour les enfants qui, en théorie, sont qualifiés par un pronom neutre. Cependant, dans la pratique, on utilise souvent des pronoms binaires aussi pour les enfants.

Il existe le pronom neutre « die », l’équivalent de « they » en anglais. Cela simplifie beaucoup de situations au pluriel.

Q. L. : Dans les pays germanophones, existe-t-il le même type de débat qu’en français à propos de l’écriture inclusive ?

M. M. : Les débats ont commencé dans les universités autour des années 1980, puis se sont développés dans la société vers les années 1990. Ils ont provoqué plusieurs vagues d’ajustements. Le livre allemand Das Deutsche als Männersprache (« La langue allemande comme langue masculine ») de Luise F. Pusch, paru en 1984 en plein cœur des débats sur l’inclusivité de la langue, représente en quelque sorte la naissance de la linguistique féministe.

Q. L. : Quelles solutions ont été proposées ?

M. M. : L’une des idées a été d’introduire un « i » majuscule au milieu des mots pour inclure le féminin. Par exemple, au lieu d’écrire uniquement « die Studenten » (« les étudiants ») pour qualifier l’ensemble de la population étudiante ou encore écrire « die Studentinnen und die Studenten » (« les étudiantes et étudiants »), ce qui allonge la phrase, les Allemands ont opté pour « die StudentInnen ». Il n’existe pas d’équivalent en français étant donné que la langue n’est pas féminisée ou épicène, mais ce serait l’équivalent de « les étudiants et étudiantes » en un seul mot. Cette façon de faire est plus populaire à l’écrit qu’à l’oral en raison de la difficulté à accentuer le « i » pour différencier le mot de sa forme féminine. Le « i » majuscule est d’ailleurs de moins en moins populaire.

Plus récemment, dans les années 2000, l’utilisation du participe présent pour rendre l’expression épicène est devenue le plus populaire. Ainsi, pour dire l’équivalent de « les étudiants et étudiantes », on dira « die Studierender ».

Q. L. : Y a-t-il encore des débats sur certains termes ?

M. M. : Il existe encore quelques controverses autour de la langue. Par exemple, « un homme » se dit « der Mann » et « une femme », « die Frau ». Or, le pronom neutre est « man ». Par conséquent, certaines personnes dénoncent le fait que ce pronom ressemble beaucoup au mot « homme ». Certains groupes féministes vont donc dire « frau », plutôt que « man ». Cette forme est retrouvée davantage à l’écrit, étant donné la difficulté de l’utiliser à l’oral au quotidien.

Q. L. : Existe-t-il l’équivalent de l’Académie française ou de l’OQLF en Allemagne ?

M. M. : Bien qu’une réforme de l’orthographe ait eu lieu, il n’existe aucune institution qui centralise ce pouvoir. De plus, chaque région est souveraine en matière d’orthographe. Il existe tout de même une conférence centrale entre les régions pour harmoniser la langue, mais la gestion de celle-ci reste décentralisée.