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Lettre : Quelques points méconnus du financement du système universitaire

Les étudiants universitaires et leurs professeurs, mais aussi la population en général, se posent la question du bon usage du budget de l’État imparti à nos universités. La présence des étudiants étrangers dans le système universitaire est un aspect méritant d’être examiné à divers points de vue, notamment quant à la partie importante du budget des universités qui leur est consacrée. De même, il est à noter que les étudiants qui quittent le Québec dès l’obtention de leur diplôme ne participeront pas ultérieurement, par leur cotisation à l’impôt, au remboursement de leur formation, parfois très coûteuse. Ce qui suit est rédigé avec comme perspective le contribuable québécois à qui il revient, in fine, d’assurer l’essentiel du financement universitaire.  

 

Les étudiants internationaux

Il est possible de distinguer deux catégories d’étudiants internationaux parmi ceux que nous accueillons dans nos universités (nous allons nous en tenir aux études de niveau baccalauréat (premier cycle), excluant donc les Études de maîtrise et de Ph. D. dans ce qui suit).

  • Ceux-ci proviennent de pays en émergence ou en voie de développement. Les recevoir dans nos universités constitue une contribution québécoise à l’aide internationale, encore faudrait-il toutefois que le niveau de ce financement soit en conformité avec les priorités du budget du Québec.
  • Ceux-ci proviennent de pays développés et il y a une perspective d’échange, de réciprocité. C’est le cas, par exemple, des ententes universitaires avec la France mais pas (ou très peu) avec les États-Unis.

 

Les étudiants canadiens non résidents du Québec (Canadiens hors-Québec)

Comme il n’existe pas vraiment de réciprocité avec les provinces canadiennes en matière de Droits de scolarité, le Ministère de l’Éducation du Québec a imposé, il y a une dizaine d’année, aux étudiants canadiens hors-Québec des frais de scolarité correspondant à la moyenne des frais de scolarité des provinces canadiennes, alors que ceux-ci acquittaient jusque là le même montant que les étudiants québécois. Dans ce qui suit, le terme étudiant étranger désignera à la fois les Canadiens hors-Québec et les Internationaux.

 

Le cas de Bishop’s university

Cette université, ne dispensant essentiellement qu’une formation de premier cycle, comptait, à l’automne 2011, 52 % d’étudiants étrangers (principalement des Canadiens hors-Québec). Il serait sans doute sain d’envisager sa fermeture pour mettre fin à une perte financière, sans contrepartie, pour le contribuable québécois de l’ordre de 9 M$/an en financement des étudiants non québécois. À cela, s’ajoute le scandale d’un Principal qui s’est octroyé (à même les impôts des Québécois) salaire et avantages (315 225 $ pour veiller sur 2 000 étudiants) dépassant ceux du Recteur de l’université de Sherbrooke (282 700 $ pour 17 000 étudiants),  Rappelons que les deux établissements étant situés à moins de10 km, une tutelle administrative par l’UdeS est tout à fait envisageable, qui mènerait à une fermeture progressive de Bishop’s.

 

Les revenus perçus du fait de la présence d’étudiants étrangers dans les universités : comparaison McGill et UdeM pour l’année 2011-2012

De ce point de vue, McGill constitue un cas unique par rapport aux autres universités du Québec du fait de son fort pourcentage d’étudiants non québécois (55,6% : données du MESRST pour les étudiants inscrits à l’automne 2011), comme nous allons le montrer. La comparaison qui suit est effectuée entre les deux plus grandes universités (en nombre d’étudiants) du Québec. Dansla colonne Adu tableau se trouve rapporté le montant total (brut) des Droits de scolarité plus les frais afférents et administratifs perçus par chaque institution (États financiers (vérifiés) 2011-2012 de l’Université de Montréal et de l’Institution royale pour l’avancement des sciences (McGill)). Dansla colonne Bapparaît le montant de ces Droits et autres frais repris par le MESRST (Règles budgétaires et calcul des subventions de fonctionnement aux universités, MESRST).La colonne Cfait état du montant total (net) restant à l’université. En D se trouve l’Effectif Étudiant en Équivalence au Temps Plein (EÉÉTP) tiré du fichier GDEU du MESRST.La colonne Eétablit la moyenne du montant brut des Droits/EÉÉTP alors qu’en F est inscrit le montant net des Droits/EÉÉTP. La dernière colonne indique la différence entre le montant moyen net/EÉÉTP de McGill et celui de l’UdeM. Rapportée au nombre d’EÉÉTP de McGill pour ce même nombre à l’UdeM, cette différence procure à McGill un supplément annuel de 63 M$, ayant par ailleurs à former 7 000 étudiants de moins que l’UdeM.  

 

Université

A :

Droits

bruts

B :

Récupération

MESRST

C :

Droits nets

D :

EÉÉTP

E :

Droits bruts/EÉÉTP

F :

Droits nets/EÉÉTP

Différence

McGill – UdeM

 

M$

M$

M$

 

$

$

Brute

Nette

McGill

217.13

83.84

133.29

30 191

7 192

4 415

 

 

UdeM

108.81

22.12

86.69

37 218

2 924

2 329

 

 

 

 

 

 

 

 

 

4 268

2 086

 

La plus faible recette nette des Droits de scolarité à l’UdeM qu’à McGill vient d’un plus faible pourcentage d’étudiants étrangers (21.4% contre 55.6%) et du fait que l’UdeM reçoit comme étudiants internationaux en premier lieu des Français dont les frais de scolarité, par suite d’accords bilatéraux, sont les mêmes que ceux des étudiants québécois.

 

Réduction des coûts dans le système universitaire : notion de partage par opposition à duplication des programmes  

Si un programme doit son existence à la présence majoritaire d’étudiants non québécois, ne serait-il pas raisonnable d’établir ce programme dans une seule université (francophone ou anglophone, suivant le cas). Plusieurs programmes de McGill et Concordia devraient être revus sous cet angle, et dispensés dans une seule des deux, puisque ce sont ces deux universités qui reçoivent le plus grand nombre d’étudiants internationaux et canadiens hors-Québec (44,6% du total d’étudiants étrangers au Québec). Dans cette optique, considérons le cas de Médecine dentaire à McGill : on peut s’interroger sur l’opportunité (et les coûts afférents) d’y former des dentistes (29 étudiants inscrits/an pour 85 à l’UdeM). Pourquoi ne pas en faire un seul programme, regroupé à l’UdeM pour ce qui est de l’enseignement magistral qui, comme il se donne en français, pourrait augmenter le taux de rétention de ces diplômés puisque ceux-ci pourraient plus facilement réussir l’examen de français de l’Office Québécois dela Langue Française(OQLF) administré par chaque Ordre professionnel pour obtenir le permis d’exercer au Québec. En définitive, le chevauchement de programmes conduit à des coûts encourus à perte, sans qu’il le sache, par le contribuable québécois. 

           

Réflexion sur les coûts encourus pour former les étudiants et la perte en revenu d’impôts lorsque ceux-ci quittent le Québec sans y exercer leur profession

Coût de formation et financement global (exemple à partir de la formation médicale)

Dans l’examen des coûts de formation des étudiants, il y a lieu de prendre en compte toutes les contributions gouvernementales québécoises, non seulement celles du MESRST, mais aussi celles des autres ministères comme, dans l’exemple qui suit, du Ministère de la Santé et des Services Sociaux (MSSS) par le biais des stages en milieu hospitalier (Programme MD de médecine et, pour McGill, de Médecine dentaire). Pour aborder cet aspect, considérons le coût de la formation, particulièrement élevé, des étudiants en médecine (il faut quatre ans pour obtenir le titre de MD avec, le cas échéant, une année préparatoire notamment pour les Cégépiens). Le montant de base des frais annuels de scolarité pour les étudiants québécois en Médecine est de 2168 $. Le coût global pour former un MD, c’est-à-dire comprenant non seulement l’enseignement universitaire mais aussi le financement par le MSSS, est estimé  à environ 300 000 $ (document UdeM).  Puisque 47,6 % dela cohorte MDde McGill (moyenne 1997-2005 : par rapport à 2,1 % pour celle de l’UdeM, selon Canadian Post-MD Education Registry, 1995-2004) ne vont pas exercer au Québec, leur financement ne sera pas récupéré par les impôts qu’ils y acquitteraient. Puisque presque tous les étudiants de McGill inscrits au programme de MD sont Québécois, la perte financière (compte tenu du plus faible montant des Droits de scolarité versés par les étudiants québécois) est d’environ  289 000 $/étudiant diplômé, avoisinant les 24 M$ pour chaque cohorte, donc finalement par année. Ne faudrait-il pas faire signer à tous les étudiants en médecine, compte tenu du coût exceptionnel de leur formation, un engagement contractuel d’une pratique d’au moins quatre ans au Québec à défaut de quoi une pénalité de 300 000$ s’appliquerait (plutôt que de leur imposer au départ des frais de scolarité reflétant davantage le coût de leur formation) ? À noter que seulement 5% d’étrangers sont admis au programme de MD et, pour la plupart, ils doivent signer un engagement de pratiquer en région au Québec à défaut de quoi ils doivent rembourser 300 000$ (Décret 1094-2011 en Conseil des Ministres).

            On pourrait étendre cette notion de non recouvrement des frais par l’impôt notamment à la formation d’ingénieurs : à titre d’exemple, la cohorte de l’École Polytechnique comprend déjà 24 % d’étrangers (résidents permanents exclus) et celle de certains départements de génie à McGill pourrait avoisiner les 85%.

 

Mise en contexte de l’augmentation des Droits de scolarité exigée des étudiants en 2012

Le nombre d’étudiants universitaires, tous cycles confondus, exprimé en EÉÉTP, soit 30 crédits de « cours »/année, était pour 2011-2012 de 220 458  (chiffre comprenant également les étudiants canadiens hors-Québec et internationaux). Le montant supplémentaire demandé par le MELS (gouvernement de Jean Charest) aux étudiants, au moment de la grève, était  de 325 $/année par EÉÉTP, soit un montant annuel de 66 millions $. Il aurait suffi que McGill retourne au MESRST le différentiel (63 M$ par rapport à l’UdeM) qui lui a été laissé (voir tableau) pour les étudiants étrangers pour que le montant supplémentaire exigé ne soit plus nécessaire.

 

Limitation des budgets alloués aux universités québécoises pour accueillir les étudiants étrangers et récupération des coûts nets de formation dans le cas d’étudiants quittant le Québec dès la fin de leurs études

Comme le démontre ce qui précède, il y a lieu de rendre le financement des universités plus rationnel en termes de coûts et de recouvrement des montants investis par les contribuables. Les universités anglophones (qui accaparent près de 26% du financement global du MESRST pour une population anglophone au Québec de moins de 9%) devraient être plus particulièrement examinées. Ainsi, en considérant qu’il y a plus de 55% d’étudiants étrangers à McGill (ce qui contribue à la réputation internationale de McGill soit dit au passage), cela veut dire que 150 M$ leur sont consacrés annuellement.

Prenant en compte ce montant de 150 M$ et rappelant que 63 M$/an sont perçus en Droits de scolarité pour ces étudiants étrangers par l’université McGill par rapport à l’UdeM, montants auxquels il convient d’ajouter les 9 M$ dépensés sans contrepartie aucune pour des étudiants étrangers par Bishop’s university, on arrive à un montant de 222 M$/an. Convenir de ne pas accepter au premier cycle plus de 20% d’étrangers dans nos universités (c’est déjà beaucoup) réduirait la facture, essentiellement due à McGill et Concordia, de 80 M$/an. Cette réduction du budget du MESRST, auquel on peut ajouter la récupération des Droits de scolarité de 63 M$ perçus par McGill, soit 143 M$/an, sont à mettre en regard des 124 M$/an de coupure budgétaire imposée par le Ministre Duchesne à l’ensemble des universités. Il reste enfin l’épineuse question (administrativement) des diplômes quittant le Québec sans rembourser leur formation : par exemple, les seuls nouveaux MD qui quittent le Québec sans y pratiquer laisse une ardoise de formation de 24 M$/cohorte. Une telle récupération financière permettrait de geler les Droits de scolarité à leur niveau actuel.

Il faut donc arriver à une reprise en main des budgets universitaires du MESRST et instaurer un nouvel ordre de gouvernance et de nouveaux objectifs, entre autres une gouvernance adaptée à la capacité de payer du contribuable québécois et aux intérêts de l’ensemble de notre société. À ce sujet, le gouvernement ne peut ignorer les conséquences des règles qu’il a instaurées. Il y a, en fait, urgence d’une prise de conscience collective et d’une prise de position avantageuse pour l’ensemble de notre société. Il est cependant clair que remettre de l’ordre dans le système universitaire ne peut se faire sans quelques soubresauts politiques !

 

Michel Moisan, professeur de Physique, Université de Montréal

 

 

Sources :

Pierre Dubuc, Le Devoir, 6 avril 2012.– Patrick Sabourin : un médecin pour le prix de deux, Action Nationale, décembre 2006.– MELS, Assemblée nationale, novembre 2011. — Mémoire UdeM à la Commission parlementaire sur la qualité, l’accessibilité et le financement des universités, février 2004. Fichiers du MESRST.

 

 

 Université

Total étudiants

Québécois

Canadiens Hors-Québec

Internationaux

Résidents permanents

Total Non-Québécois

Laval

38 589

87,30%

1,10%

6,80%

4,60%

12,5%

Montréal

44 907

78,50%

1,30%

8,40%

11,80%

21,4%

Sherbrooke

23 492

88,80%

1,10%

5,50%

4,60%

11,2%

McGill

35 784

44,40%

25,40%

19,40%

10,80%

55,6%

Concordia

35 168

66,50%

9,80%

12,00%

11,70%

33,5%

Bishop’s

2 778

48,10%

36,60%

11,60%

3,70%

51,9%

 

Inscriptions à l’automne 2011 dans les universités du Québec (comprend cette fois tous les étudiants inscrits, et pas seulement les EÉÉTP)

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