Les jeux vidéo face à l’épreuve du temps

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Par Thomas Laberge
lundi 5 mars 2018
Les jeux vidéo face à l’épreuve du temps
À ce jour, il n’existe pas d’institutions officielles dévouées à la conservation des jeux vidéo. Cette situation est jugée problématique par le professeur au Département d’histoire de l’art et d’études cinématographiques de l’UdeM Carl Therrien, qui milite pour que les jeux vidéo acquièrent un statut d’objet culturel légitime.

Quartier Libre : Les vieux jeux vidéo ont une durée de vie physique limitée. Comment est-il possible de contourner ce problème afin de les conserver ?

Carl Therrien : Je crois, à l’instar de plusieurs de mes collègues, qu’il serait nécessaire d’avoir des enregistrements de joueurs qui jouent à des jeux vidéo. Cela permettrait de conserver l’expérience des jeux malgré leur durée de vie limitée. Toutefois, à l’heure actuelle, les youtubeurs qui se filment en jouant à des jeux vidéo sont les seuls à faire ce travail. Ainsi, une grosse partie du travail d’historiographie du jeu vidéo repose sur eux. Le problème, c’est que les institutions professionnelles qui font des enregistrements de l’expérience des jeux vidéo sont inexistantes. Il y a peu de valorisation de la mémoire du jeu vidéo actuellement.

Q. L. : Est-ce que les émulateurs de jeux vidéo* peuvent constituer une solution viable ?

C. T. : Toutes les initiatives sont les bienvenues et ce que fait la communauté des émulateurs est merveilleux. C’est un travail bénévole de dévotion pour le média. Toutefois, le gros problème de l’émulation est l’interface matérielle. L’émulateur ne peut pas reproduire certaines choses. Pensons par exemple aux arcades. Il est possible de jouer à des jeux d’arcade sur un ordinateur, mais l’expérience sera très différente, parce qu’on n’aura pas les mêmes joysticks qu’à l’époque. Il y a aussi le fait qu’en général, on émule les consoles et les jeux qui ont eu le plus de succès commercial. Il y a donc un biais dans la sélection de ce qui est émulé.

Q. L. : Vous pointez du doigt le fait que l’on ne conserve qu’une partie de ce qui est produit dans l’industrie du jeu vidéo. Mais n’est-ce pas un problème que l’on retrouve dans les autres formes d’art ?

C. T. : Oui, effectivement, cela n’est pas le propre de l’univers du jeu vidéo. On peut faire plusieurs parallèles avec l’histoire du cinéma. Un autre problème provient du fait que le jeu vidéo n’est pas encore pleinement considéré comme un objet culturel légitime. C’est la raison pour laquelle on n’a pas encore d’institutions, comme des cinémathèques, pour conserver les jeux vidéo. Mais il est effectivement impossible de tout conserver. Ce qu’il faut, c’est avoir une préservation assez large. Ainsi, lorsqu’on aura des institutions officielles, celles-ci pourront faire une sélection d’oeuvres qui ne sera pas uniquement basée sur le critère du succès commercial. Il faut penser à sélectionner les jeux en fonction de plusieurs facteurs, comme leur pays d’origine ou par rapport à des moments historiques précis, par exemple.

Q. L. : Est-ce que la dématérialisation des jeux vidéo plus récents sera bénéfique pour leur conservation ?

C. T. : On pourrait penser que la dématérialisation va permettre une conservation plus facile, mais les choses risquent de ne pas être aussi simples. On se rend compte, par exemple, que plusieurs jeux sortis sur des téléphones intelligents sont aujourd’hui impossibles à retrouver.

Q. L. : Est-il possible de faire un parallèle avec les films et les séries que l’on retrouve exclusivement sur Netflix ?

C. T. : Je ne suis pas un spécialiste de la question, mais de ce que j’en sais, le numérique ne règle pas tout. Toutefois, contrairement aux jeux vidéo, le cinéma et les séries bénéficient d’institutions qui sont dévouées à leur préservation. Il y a donc moins de risque dans ce domaine.


* Les émulateurs sont des programmes informatiques permettant de simuler des consoles de jeux vidéo. Par exemple, il est possible d’émuler une console Nintendo et de jouer sur son ordinateur.