Volume 20

Les frais de scolarité en quatre scénarios

Le Sommet sur l’enseignement supérieur aura lieu les 25 et 26 février prochains. La question des frais de scolarité sera au centre des discussions. Quatre grandes options seront étudiées. Deux économistes et les principaux acteurs du milieu universitaire nous éclairent sur les implications des quatre scénarios envisagés.

Présentation des intervenants 

Martine Desjardins , présidente de la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ)

Éliane Laberge, présidente de la Fédération étudiante collégiale du Québec (FECQ)

Blandine Parchemal, secrétaire aux affaires académiques de l’Association pour une solidarité syndicale étudiante (ASSÉ)

Paul-Émile Auger, secrétaire général de la Table de concertation étudiante du Québec (TaCeQ)

Max Roy, président de la Fédération québécoise des professeures et professeurs d’université (FQPPU)

Les Experts

Pierre Fortin, professeur en sciences économiques à l’UQAM. Consulté par le ministère de l’Enseignement supérieur, la Recherche, de la Science et de la Technologie, ses conseils ont inspiré les trois pistes d’indexation proposées.

Ianick Marcil, économiste indépendant. Il a enseigné à l’Institut d’économie appliquée de HEC Montréal et au département de science politique de l’UdeM.

 

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LA GRATUITÉ 

• De quoi parle-t-on ?
Une facture nulle, remboursement des frais par le gouvernement, des bourses couvrant la totalité des droits de scolarité. Le scénario de la gratuité scolaire reste encore à être défini. Pour le moment, c’est avant tout un idéal à privilégier.

• Qu’en disent les acteurs du milieu universitaire?
Pour eux, le mot clé est l’accessibilité, et la gratuité représente l’unique façon de la garantir pour tous. La FEUQ, la FECQ, l’ASSÉ, la TaCeQ et la FQPPU sont unanimes. La gratuité est l’option que le gouvernement doit privilégier pour maintenir et améliorer l’accessibilité aux études supérieures. Par contre, ils ne s’entendent pas sur la manière d’y parvenir. 

Bien que le ministre de l’Enseignement supérieur, de la Recherche, de la Science et des Technologies, Pierre Duchesne, ait assuré que le gouvernement ne peut se payer la gratuité, l’ASSÉ veut la voir inscrite à l’ordre du jour. « La gratuité doit y être discutée et considérée comme un scénario envisageable.»– Blandine Parchemal

Les autres acteurs préfèrent considérer la gratuité comme un objectif. «La gratuité doit être la vision à long terme vers laquelle la société doit tendre. C’est un choix de société.» – Max Roy

• Qu’en disent les experts?
« L’éducation est un service public essentiel. C’est un bien public dont les coûts doivent être partagés par l’ensemble de la société économique, même par ceux qui ne vont pas à l’université.» – Ianick Marcil

«L’ASSÉ sous-estime le coût de la gratuité. Sa mise en place reviendrait entre 800 millions et 1,3 milliard de dollars aux contribuables, et non à 668 millions.» – Pierre Fortin

 

LE GEL

• De quoi parle-t-on ?
Le gel des frais de scolarité signifie un statut quo indéfini en matière de frais de scolarité. La charge représentée par le montant des frais de scolarité sur le budget des étudiants se réduira au fur et à mesure de l’élévation du coût de la vie en raison de l’inflation.

• Qu’en disent les acteurs du milieu universitaire?
La position du gel est soutenue par la FEUQ et la FECQ comme moyen de parvenir à la gratuité. «Avec l’augmentation du coût de la vie, le gel, c’est réduire progressivement les frais de scolarité.»– Éliane Laberge

La TaCeQ reste plus vague. «La Taceq est contre la hausse des frais de scolarité. Toute forme de hausse.» – Paul-Émile Auger

L’ASSÉ se méfie du gel. «C’est une ouverture pour une nouvelle augmentation en cas de changement de gouvernement. Le gel maintient le risque d’une nouvelle augmentation.» – Blandine Parchemal

• Qu’en disent les experts?
«L’éducation universitaire est un bien collectif, mais qui procure aussi des avantages individuels, car un diplômé universitaire aura un meilleur revenu tout au long de sa vie. Je trouve le gel inéquitable pour les personnes qui ne vont pas à l’université. Sur le plan financier, le coût de fonctionnement des universités va augmenter à cause de l’inflation. Le gel va donc causer une pression financière de plus en plus importante sur les fonds gouvernementaux. L’éducation n’a pas de prix, mais elle a un coût que les contribuables vont devoir de plus en plus financer avec leurs impôts en cas de gel.» – Pierre Fortin

«C’est un moindre mal, mais c’est une position temporaire. Le gel ne fera que déplacer le problème du financement des universités à plus tard.  À un moment donné, il faudra bien se poser la question du coût du système éducatif.»– Ianick Marcil

 

L’INDEXATION

• De quoi parle-t-on ?
Indexer les frais de scolarité aurait pour conséquence une hausse régulière annuelle de ces frais. Cette majoration pourrait suivre le même rythme que l’inflation, ce qui augmenterait la facture de 2 % par an, soit de 46 $. Elle pourrait aussi s’ajuster à la hausse du revenu par habitant ou à celle du coût de fonctionnement des universités. Ce qui se traduirait par des hausses respectives de 3% par an, soit 70 $, ou de 3,5 %, soit 83 $.

• Qu’en disent les acteurs du milieu universitaire?
L’indexation est refusée par toutes les associations étudiantes. «Certains vont dire que l’indexation, c’est comme un gel, parce que ça évolue avec le coût de la vie, mais c’est le contraire du gel, cela augmente chaque année la facture des frais de scolarité. Les universités peuvent déjà indexer leurs frais afférents de 20 $ ou de 50 $, ou jusqu’à près de 900 $ pour l’Université McGill. On est bien loin d’un simple 3,5 % d’indexation selon le coût de fonctionnement des universités.»– Éliane Laberge

«L’indexation est une hausse perpétuelle dont on ne voit pas la fin. Elle ne permet de sortir ni de la logique marchande ni de l’augmentation des frais.»– Blandine Parchemal

«Nous refusons catégoriquement l’indexation peu importe le scénario. Il s’agit encore de faire payer les étudiants et d’augmenter de plus en plus leurs dettes. On nous demande encore un chèque en blanc sans nous dire où cet argent va aller.» – Martine Desjardins

La FEUQ réclame un réel travail d’évaluation et de réflexion sur l’éducation avant de toucher aux frais de scolarité. La FQPPU va dans le même sens. «C’est la mission première des universités qui doit être définie.» – Max Roy

Seule la TaCeQ est prête à envisager le scénario de l’indexation. «Si, au final, c’est le seul scénario proposé par le gouvernement, nous consulterons les étudiants au sujet de cette proposition.» – Paul-Émile Auger

•Qu’en disent les experts?
« Pour déterminer à quoi nous voulons indexer les frais de scolarité, il faut savoir quel objectif nous avons. Si le but est de stabiliser la part payée par les étudiants, il faudrait que les droits augmentent au même rythme que le coût de fonctionnement des universités. Si on veut se fier à la capacité de payer des familles, il faut se baser sur l’évolution du revenu par habitant. Cette dernière solution est la plus raisonnable pour assurer la stabilité financière, mais aussi sociale, afin d’éviter des crises sociales [comme le printemps
érable]. » – Pierre Fortin

« Indexer selon l’évolution des prix à la consommation serait un moindre mal, mais ce ne serait pas très juste, car cette hausse ne frappe pas tout le monde de la même manière. Une indexation selon le coût de fonctionnement des universités serait absurde. Cela n’irait pas dans le sens d’une bonne gestion des universités, car elles n’auraient qu’à accroître leurs besoins pour augmenter les droits de scolarité. Indexer les frais de scolarité sur l’évolution du revenu par habitant reviendrait à défavoriser les moins fortunés. Ce serait la partie la plus pauvre de la classe moyenne qui en payerait le coût. »– Ianick Marcil

 

LA MODULATION

• De quoi parle-t-on ?
Moduler les frais de scolarité selon le coût de formation de l’étudiant ou selon le salaire estimé une fois sur le marché du travail est proposé par la Coalition Avenir Québec (CAQ), le Parti libéral du Québec (PLQ) ou même le recteur de l’UdeM, Guy Breton. Un étudiant en médecine paye aujourd’hui le même montant de frais de scolarité qu’un étudiant en sciences humaines, alors que le coût de formation de ce dernier est moins élevé et qu’il aura probablement des revenus moindres que le futur médecin.

•Qu’en disent les acteurs du milieu universitaire?
La FEUQ, la FECQ, la TaCeQ, l’ASSÉ et la FQPPU dénoncent unanimement la proposition de moduler les frais de scolarité. «La modulation est une barrière financière. Cela ne correspond pas au principe d’équité. Et puis, étudier le droit ne veut pas dire avoir un gros salaire. L’étudiant peut aussi bien se dédier à une ONG.» – Paul-Émile Auger

« Des programmes comme le droit ou la médecine sont déjà moins accessibles pour des raisons socio-culturelles. Augmenter la facture signifie accroître cette inégalité.»– Éliane Laberge

«Au bout du compte, la société y perd. On veut les meilleurs médecins, pas seulement ceux qui ont les moyens d’être médecin. À 22 ans, un étudiant qui veut aller en médecine ne pense pas à combien il va faire comme salaire plus tard, mais à l’argent disponible dans son porte-monnaie pour aller étudier.»– Martine Desjardins

• Qu’en disent les experts?
« La modulation va diminuer l’accès de certaines professions à certaines couches de la population et favoriser la reproduction sociale. Les étudiants en médecine sont déjà souvent des enfants de médecins.»– Ianick Marcil

« On pourrait songer à une modulation dans des programmes chers comme le génie mécanique, qui nécessite des machines, et à un gel des formations peu coûteuses comme les sciences économiques. Puis, on pourrait indexer les frais selon la capacité de payer des familles. Je suis pour des frais de scolarité de 4 000 ou 5 000 $ maximum, mais pas de 20 000 $ comme en Ontario. Il ne faut pas créer une hiérarchie sociale des professions de manière prématurée. »– Pierre Fortin

 

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LA POSITION DE LA CREPUQ
Depuis 10 ans, la Conférence des recteurs et des principaux des universités du Québec (CREPUQ) affirme que les universités québécoises souffrent d’un sous-financement estimé à 850 millions de dollars. Elle croit donc que tous ceux qui bénéficient des universités doivent collaborer. «C’est un choix de société que de bien financer les universités afin qu’elles maintiennent leur rôle pour le bien commun», déclare le président-directeur général de la CREPUQ, Daniel Zizian. Interrogé quant à la position de la CREPUQ sur les propositions faites en vue du Sommet, M. Zizian maintient que le rôle de l’organisme n’est pas de décider de la façon dont les universités doivent être financées. «C’est le devoir du gouvernement de décider de la répartition des contributions, et d’assurer qu’il y ait consensus sur ces moyens», explique-t-il.

 

LA POSITION DE LA TACEQ
Les entreprises contribuent déjà au financement des universités, notamment par des dons philanthropiques. Leur participation consiste surtout en un financement ponctuel pour des projets spécifiques. La TaCeQ veut aller plus loin. «Nous proposons la création d’un fonds général comparable au fonds des services de santé mis en place dans les années 1970», précise M. Auger.

Cette contribution fiscale obligatoire des entreprises viendrait répondre au sous-financement des universités diagnostiqué par la CREPUQ. «Par extension, les entreprises bénéficient des outils mis en oeuvre par les universités et de la qualité de l’enseignement, souligne M. Auger. Elles devraient donc participer à l’effort collectif des dépenses universitaires».

 

Par Fanny Bourel et Ève Marsan 

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