Les difficultés du doctorat en cotutelle

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mercredi 10 mai 2017
Les difficultés du doctorat en cotutelle
Depuis 2012, ce sont plus de 200 étudiants qui ont fait leurs études doctorales en cotutelles à l'UdeM selon les chiffres obtenus par Fred Hall. (Photo: Wikimedia Commons | A.lakrafi)
Depuis 2012, ce sont plus de 200 étudiants qui ont fait leurs études doctorales en cotutelles à l'UdeM selon les chiffres obtenus par Fred Hall. (Photo: Wikimedia Commons | A.lakrafi)
Le nombre d’étudiants au doctorat en cotutelle est à la hausse au Québec et de plus en plus d’universités poussent les étudiants dans cette direction. Si la cotutelle est tentante, elle implique des revers qui ne sont pas toujours connus des futurs doctorants.

Le site de la Faculté des études supérieures et postdoctorales (FESP) de l’UdeM indique que la cotutelle est un moyen efficace d’étudier et de devenir un citoyen du monde. Selon une étude menée par l’ancien vice-président aux études supérieures de l’Université de Calgary, Fred Hall, pour l’Association canadienne pour les études supérieures, l’UdeM serait la plus encline au Canada à favoriser cette formule permettant aux étudiants d’obtenir deux diplômes. Si la cotutelle permet une ouverture sur le monde, elle comprend aussi son lot de difficultés qui empêche parfois les étudiants mal informés à mener le parcours souhaité ou pire, de terminer leurs études.

Devenir citoyen du monde… mais pas n’importe où !

L’étude de Fred Hall propose différents conseils dans la mise en place d’une cotutelle. Parmi ceux-ci, on y précise qu’il est important de compter sur des professeurs individuels et non pas sur l’administration universitaire pour entreprendre une cotutelle. À l’UdeM, la situation est différente, puisqu’il existe certes plusieurs offres de cotutelles, mais que les informations concernant la possibilité de créer une entente avec une institution non partenaire peuvent laisser à interprétation. En réalité, cette situation peut s’avérer plus complexe qu’elle ne l’est présentée. C’est ce qu’a constaté le doctorant en cotutelle à l’UdeM et à l’École des Hautes Études en Sciences Sociales (EHESS) de Paris Anthony Grégoire, pour qui l’université d’accueil n’était pas le premier choix. « Initialement, je voulais étudier à la School of Oriental and African Studies, à Londres, explique-t-il. J’avais trouvé ma directrice, il ne s’agissait que de créer l’entente. J’étais prêt à entrer dans la lourde paperasse administrative, mais on me l’a refusé. J’ai ensuite cherché plus proche et trouvé une directrice à New York, mais rien à faire : on m’a fait savoir que c’était tout simplement impossible. »

Comme le mentionne Hall, les droits de scolarité peuvent causer des conflits. Dans ce cas-ci, le refus était dû à l’équivalence de crédits en fonction du prix payé pour les droits de scolarité, trop bas au Québec en comparaison aux États-Unis, par exemple. « Créer ma cotutelle m’aura littéralement pris deux ans et demi », ajoute Anthony, précisant au passage qu’il lui a finalement été demandé par la FESP de tout simplement choisir une université partenaire à l’UdeM.

Une dynamique de direction fragile

Un aspect qu’il importe aussi de mentionner concerne la dynamique qui peut s’installer entre les deux directeurs choisis. « L’étudiant et son directeur de recherche doivent être motivés, investis et déjà engagés dans une collaboration pour que ces ententes fonctionnent bien, constate Hall dans son étude. Tout particulièrement, l’étudiant doit assumer la responsabilité de l’entente et la mener à bien. » Cette responsabilité est lourde, parce que la dynamique entre deux directeurs peut être facilement conflictuelle.

C’est ce qu’a appris l’étudiante au doctorat en cotutelle depuis maintenant six ans et en session de prolongation Amélie*. Pour elle, cette prolongation est en autre causée par une mésentente des demandes de ses codirecteurs qui peinent à saisir l’angle que prend sa thèse de recherche. Elle explique que la dynamique entre les professeurs est cruciale. Dans certains cas, les codirecteurs ne s’entendent pas entre eux, car ils ne sont pas habitués à travailler ensemble, mais l’inverse est tout aussi vrai. « Dans mon cas, mes directeurs sont amis, ils sont habitués à travailler ensemble et changent d’avis en fonction de l’autre », explique-t-elle. Pour Amélie, la cotutelle implique donc un difficile jeu de négociation entre ses directeurs où les discussions semblent stériles et mènent à des problèmes de communication.

Pour répondre aux exigences de ses codirecteurs, Amélie a dû demander une prolongation de session qui lui a été accordée de peine et de misère et a dû réduire pratiquement toutes ses activités et tous ses revenus extérieurs pour se concentrer sur l’achèvement de sa thèse dans les temps impartis afin d’éviter d’être éliminée du programme doctoral. « Il faut prendre conscience que la cotutelle implique énormément de pression parce que les extensions, si elles ne sont pas impossibles, sont extrêmement difficiles à obtenir », ajoute-t-elle.

Si la cotutelle est une occasion en or qui gagne en popularité, il est important de connaître les difficultés qui peuvent s’y rattacher, car au bout du compte, la pression repose sur une seule personne, l’étudiant, pour mener à terme et surtout, à temps, son parcours doctoral.

*Nom fictif afin de garder l’anonymat de l’étudiante.