Les condos de la colère

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Par Olivier.Simard.Hanley
mardi 17 avril 2012
Les condos de la colère

Le pavillon 1420, boul. du Mont-Royal continue de susciter la controverse. Vendu par l’UdeM au promoteur Catania en 2008, l’immeuble sera converti en 142 résidences de luxe. Des citoyens veulent en empêcher la vente. Déboutés en Cour supérieure du Québec le 1er mars dernier, ils font maintenant appel.

« Nous avons une cause totalement juste », clame Michel Seymour, co-porte-parole du Rassemblement pour la sauvegarde du 1420 Mont-Royal et professeur titulaire au Département de philosophie de l’UdeM. Il fait partie de ceux qui ont intenté une requête en nullité auprès de la Ville en octobre 2010 pour le changement de zonage effectué visant à qualifier l’immeuble de « résidentiel ».

« Montréal a eu une conduite exemplaire et irréprochable [dans le dossier]», tranchait le juge Wilbrod Claude Décarie en Cour supérieure le 1er mars. Il a exonéré la Ville de toute faute procédurale dans un jugement sur les règlements municipaux.

Pourtant, le Rassemblement persiste: des « erreurs de faits et de droit » auraient entaché le premier jugement. Une inscription en appel a donc été déposée le 2 avril et sera entendue à l’automne.

Les étudiants de l’UdeM aux cycles supérieurs en aménagement organisaient aussi, le 17 avril dernier, une manifestation devant le 1420 Mont-Royal. Ils souhaitaient décrier une « mauvaise gestion » du dossier, signe avantcoureur, pour eux, d’une dérive immobilière sur le campus.

« Manœuvre?de contournement»

La polémique entoure le recours à l’article 123 de la Loi sur l’aménagement durable du territoire et l’urbanisme. Cet article permet de faire concorder le zonage d’un terrain à celui prévu par le plan d’urbanisme, et ce, sans passer par la voie référendaire. La Ville de Montréal a donc évité la tenue d’un référendum en modifiant son plan d’urbanisme pour accorder un statut résidentiel au terrain du 1420 Mont-Royal.

« C’est une procédure illégale, affirme Michel Seymour. Ce sont des manœuvres de con- tournement. Laisser ça aller est un feu vert pour la Ville, qui leur dit : faites ce que vous voulez, vous allez pouvoir éviter les processus référendaires. »

« La Ville de Montréal considère qu’elle s’est acquittée de ses devoirs », rétorque Patricia Lowe, relationniste à la direction des communications de la Ville de Montréal. Elle ajoute que les dispositions de la loi et du code municipal auraient été respectées et que « le jugement récent de la Cour supérieure confirme la légalité des règlements adoptés par la Ville ».

Il y a eu « une apparence flagrante de contournement des droits démocratiques » dans le processus de vente selon Étienne Coutu, attaché politique pour Projet Montréal, la deuxième opposition au Conseil municipal. « Nous sommes déçus, mais on va faire avec », résume-t-il en déplorant « l’urgence de vendre le bâtiment rapidement » invoquée lors des débats, alors que l’UdeM aurait pu y combler certains besoins d’espace.

Le recours place cependant la vente dans un flou juridique. « La vente est conclue, mais l’UdeM reste propriétaire du bâtiment tant que la procédure judiciaire n’est pas terminée », avertit Julie Gazaille, attachée de presse de l’UdeM.

Chez Catania, on mentionne que le début de la construction « dépendra du recours ». Ce qui n’empêche pas le promoteur de prévoir la livraison de ses premières unités pour l’hiver 2013. Le projet, baptisé Château Maplewood, comprend 142 résidences de prestige qui se détailleront à partir de 725 000 $ pour 1 200 pieds carrés avec vue sur la ville.

L’Université continue d’occuper partiellement l’édifice en y conservant temporairement quelques départements, dont un laboratoire de recherche en musique.

Responsabilités patrimoniales

Le 1420 «est un joyau du patrimoine, un prolongement du campus […] il y a tellement d’évidences qu’il ne fallait pas vendre ça », plaide M. Seymour. L’arrondissement naturel et historique du Mont-Royal, créé en 2005, héberge une bonne partie du campus de l’UdeM.

« Les universités sont des gardiennes de patrimoine, naturellement, elles en foisonnent », signale Dinu Bumbaru, directeur des politiques d’Héritage Montréal, un organisme indépendant fondé en 1975 qui aide à valoriser le patrimoine de la métropole. Le projet de pavillon universitaire au 1420 était « garant d’une certaine forme de pérennité du patrimoine », explique-t-il. Pourtant, « beaucoup des éléments patrimoniaux étaient tributaires de la bonne volonté de l’Université », poursuit-il en soulignant cependant un bon travail de conscientisation patrimoniale effectué par l’Université.

Privatisation de la montagne

Selon M. Seymour, « une privatisation du?mont Royal » s’opère sur les flancs de la montagne. L’ancien emplacement du collège Marianopolis a été livré à des promoteurs privés, et il pourrait advenir de même, avec la Faculté de musique du campus dont le déménagement possible en 2021 est précisé dans le plan directeur des espaces de l’UdeM.

La situation épineuse du 1420 a été évitée au couvent des Sœurs grises, rue Guy, vendu à l’Université Concordia, qui s’y installe progressivement. « C’était entendu dans les clauses du contrat que la vocation éducative serait préservée », confirme Ghislaine Desjardins, mère supérieure de la maison mère des Sœurs grises.

« Nous assistons à une privatisation des abords de la montagne », tranche Étienne Coutu, de Projet Montréal, qui entrevoit pourtant certains gestes encourageants de la Ville. Une entente avec le promoteur devrait, par exemple, permettre l’aménagement de sentiers publics aux alentours du bâtiment. Il évoque le sort prochain de l’hôpital Victoria, bientôt vidé de ses lieux. Il existe « des mécanismes [de préservation], mais il faut qu’il y ait une volonté politique de les utiliser ».

«La menace de la privatisation du mont Royal n’est pas crédible », répond Mme Lowe. Pour appuyer ses propos, la Ville renvoie aux différents plans de préservation du mont Royal adoptés par les différents paliers de gouvernement depuis les années 2000.

«Il y a une distinction à faire entre sol et bâtiment », tempère Dinu Bumbaru, pour qui le 1420 a longtemps été un espace privé. « Nous devrions faire en sorte de ne pas per- mettre un engagement paysager privé. »

Les polémiques entourant le 1420 étaient un test qui a révélé « qu’il y a place à l’amélioration », souligne Dinu Bumbaru. « Est-ce qu’il y a moyen d’avoir une stratégie de préservation et d’accessibilité pour les sols ? La question demeure. »