Volume 21

Le « selfisoloir » : phénomène citoyen viral

Le « selfisoloir » est un nouveau phénomène viral. Combinaison des termes « selfie » et « isoloir », il consiste à prendre un autoportrait au moment de son vote. Démarche pour affirmer la réalisation de son devoir de citoyen, le « selfisoloir » pourrait cependant s’avérer contraire au secret du vote.

Le « selfisoloir » est apparu pour la première fois aux Pays-Bas, puis a connu une grande expansion la fin de semaine dernière en France, lors des élections municipales, à tel point qu’un compte Twitter lui a été dédié. De même, sur Instagram, le mot-clic « citoyen » a fait l’objet de 1 190 photos. Verra-t-on ce phénomène s’amener au Québec lors des élections provinciales du 7 avril prochain ?

 Le vote, un acte secret encadré par la loi

Cette démarche, qui se veut avant tout citoyenne, s’avère être une façon d’inciter les électeurs à se rendre au bureau de vote. Toutefois, comme tout acte posé sur les réseaux sociaux, il convient d’y réfléchir avant de publier sa photo.

Dans chaque bureau de vote, l’isoloir a pour fonction d’assurer le secret du vote, également consacré par la loi électorale. Or, la publication sur internet de ce qui se passe dans cet « antre du secret » ne doit pas être vue comme un acte anodin.

La Loi électorale québécoise à laquelle sera soumis chaque électeur le 7 avril prochain consacre le secret du vote dans ses articles 355 à 359. Aussi, l’article 355 dispose que « le vote est secret » et l’article 356 poursuit en énonçant qu’« aucun électeur ne peut, sur les lieux d’un bureau de vote, faire savoir de quelque façon que ce soit le nom du candidat en faveur duquel il se propose de voter ou a voté ».

Il y a donc un doute quant à la légalité du « selfisoloir », car la personne peut communiquer son vote sur un réseau social, à partir du bureau de vote. Elle ne répond alors plus au principe de la loi qui veut que le vote soit secret.  

Une photo qui peut être responsable

Le Directeur général des élections (DGE) rappelle qu’en principe, le téléphone n’est pas autorisé dans l’isoloir, c’est pourquoi il n’encourage pas la pratique. Toutefois, il sait qu’il ne peut pas limiter la propagation du phénomène viral.

Il serait envisageable, mais hasardeux et coûteux pour les pouvoirs publics, d’aller rechercher les électeurs qui ont publié un autoportrait avec le bulletin faisant état de leur vote. Il faudrait aussi qu’ils se soient géolocalisés dans le bureau de vote. Car, même si les convictions sont assumées, et que le vote est connu de l’entourage, l’acte de voter est régi par le secret sur le lieu du bureau de vote par l’article 354 de la Loi électorale. Le DGE ne va pas déployer un tel arsenal, mais encourage les citoyens à la retenue et à se montrer responsable.

La démarche responsable de l’autoportrait dans l’isoloir est alors de ne pas faire savoir vers qui le vote va aller. Le « selfisoloir » citoyen sera alors simplement un autoportrait accompagné d’un bulletin de vote vierge, ou de la carte d’électeur.

 « Allez-y, vous pourrez faire un selfie »

La motivation derrière le « selfisoloir » demeure un phénomène viral, mais cela peut être un moyen de lutter contre l’abstention et pour diffuser une conscience citoyenne. À titre d’exemple, un candidat aux élections municipales françaises, Samuel Metias, a détourné le concept de la neknomination pour en faire une « votenomination » et inciter les électeurs à se rendre aux urnes.

L’essayiste français Xavier Delaporte voit dans le phénomène du « selfisoloir » un acte politique et une désacralisation du secret du vote pour aller vers un acte plus profond. Selon lui, l’isoloir est un symbole, celui de la « solitude du vote censé rejoindre l’universel de l’intérêt général. » Le passage à l’isoloir et le secret qu’il représente se veut comme étant l’expression de la voix du peuple tout entier. Ces autoportraits ont alors une signification, celle de l’incarnation de la citoyenneté. Incarnation qui en fait aussi un acte à la mode, montrer qu’être citoyen, c’est cool.

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