Le rire jaune

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Par Pascaline David
mercredi 8 mars 2017
Le rire jaune
Photo : Flick.com | Becagraphy
Photo : Flick.com | Becagraphy

Il feuillette le magazine Forbes et tombe sur le classement annuel des meilleurs employeurs au Canada*, avec l’UdeM au 21e rang et l’Université Laval au 14e rang. Il rit. Mais jaune, un peu, quand même.

D’abord parce que ce sondage a été mené auprès de 300 établissements à raison de 8 000 personnes rejointes via des plateformes internet. Ce qui fait, comme le mentionne la professeure au Département de sociologie de l’UdeM Claire Durand, une moyenne de 26 employés sondés par entreprise. Pas très fourni comme panel, pour 12 273 travailleurs à l’UdeM à la session d’hiver 2017.

Mais il rit jaune, surtout, parce qu’il est clinicien à la Faculté de médecine vétérinaire de l’UdeM. « Pas clinicien, mais professeur », espère-t-il. Ce statut, il le souhaite pour obtenir une sécurité d’emploi, une reconnaissance, une voix dans les assemblées universitaires. Entre intimidation et manipulation, l’employeur modèle (celui qui est classé 21e au classement Forbes, tout de même) l’a mis, lui et ses 45 collègues, en lock out durant 12 jours.

Il se console en pensant au blâme qu’a reçu l’UdeM du tribunal du travail. Pour faire part de ses demandes, c’est avec l’arbitre de différend Maureen Flynn que ça se passera, dans les mois à venir.

Plus loin, un employé d’entretien à l’UdeM vêtu d’un t-shirt couleur de son syndicat, rit jaune lui aussi. Avec ses 224 collègues, il tente de négocier sa convention collective depuis le printemps 2015 sans succès. Mais l’employeur modèle organise le déménagement d’une partie des activités de l’Université vers le nouveau campus MIL et souhaiterait confier les tâches de ses employés à une main-d’œuvre externe la première année. L’Université veut, aussi, modifier les horaires de travail des syndiqués à 24 heures d’avis. Une précarité qui n’est pas du goût de l’employé d’entretien.

Pour s’y opposer, il arbore un chandail rouge estampillé SEUM-1186, une fois par semaine. Ce dangereux acte de résistance pourrait bien lui coûter un avis disciplinaire, distribué gracieusement par l’employeur modèle. « La prochaine fois je viendrai à poil, si c’est ça qu’ils veulent », envisage-t-il.

Là-bas, une employée de soutien à l’Université Laval sourit jaune, elle aussi. Elle est en grève depuis le 21 février, car elle s’oppose aux coupes infligées à son régime de retraite. En compagnie de ses 1 899 collègues, des techniciens de laboratoire, du personnel de bureau et d’entretien, elle tente de renégocier l’entente collective. Mais l’employeur modèle (celui qui est classé 14e au classement Forbes, tout de même) fait la sourde oreille. Celui-ci aurait d’ailleurs engagé plus de 70 travailleurs illégaux, depuis le début du conflit, qui continuent à donner des cours et à fournir des services aux étudiants. « Des briseurs de grève oui, des briseurs de rêves plutôt ! », pense-t-elle, heureuse de son jeu de mot, malheureuse de sa situation.

Tout comme les cliniciens de l’UdeM, les employés de l’Université Laval nourrissent une relation amour-haine à l’égard de leurs institutions respectives. Après une discussion stérile, l’heure de la thérapie de couple est venue, le 6 mars dernier. Excepté que le thérapeute, c’est le tribunal du travail devant lequel le Syndicat des employés de l’Université Laval (SEUL) a déposé une injonction pour faire cesser le recours aux briseurs de grèves. « Plus aucune considération ni pour nos demandes ni pour nos grèves. Le respect est mort. Vive le respect ! », s’exaspère l’employée de soutien.

N’oublions pas non plus les employés de recherche, dont la situation demeure précaire. À l’Université Laval, ils sont solidaires du mouvement de grève et n’ont pas une vision très positive de leur employeur, puisqu’ils invitent à signaler toute forme de demande abusive de la part de l’Université. Ce marivaudage infertile entre les employés et les institutions ne doit donc pas être négligé lorsque l’on découvre la classification fortuite de Forbes.

Le sondage de Forbes, basé sur la théorie du Net Promoter Score, « mesure l’expérience du client et prévoit la croissance. Ce système métrique […] fournit maintenant la mesure principale pour les programmes de gestion d’expérience client autour du monde », lit-on sur leur site internet. Dans cette perspective mercantile, le classement Forbes et tous les autres de ce type n’existent que pour flatter le patronat. Si les autorités udemiennes et lavalloises se réjouissent probablement de ce rayonnement médiatique, elles ne devraient pas croire que les tensions seront apaisées si facilement. La trop grande légitimité qui leur est conférée demeure injustifiée alors que subsistent plusieurs batailles syndicales et judiciaires.

Qui donc sont ces 26 personnes questionnées, pour décider de placer l’UdeM et l’Université Laval à un tel rang ? Ce ne sont sûrement pas les employés de soutien, d’entretien ou les cliniciens qui continuent à rire. Jaune.

* Forbes Canada’s Best Employers 2017 ranking