Le marasme de Jacqueline

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Par Charlotte Biron
mardi 5 avril 2011
Le marasme de Jacqueline

Chère Gina,

J’amorce finalement mon postdoctorat dans une branche de la géométrie différentielle. Je vais briller. J’ai lu dernièrement une étude par aléation à double insu dans un journal sérieux avec comité de révision dont les conclusions tendaient à dire que l’activité sexuelle contribue à la réussite scolaire. Je dois optimiser mes conditions de réussite.

La dernière fois que j’ai dû assouvir un besoin sexuel, j’ai pêché une jeune dame à la taverne locale. Le choix de la variable s’avéra malheureux, car il a fallu que je m’adonne à 110 minutes de préliminaires. Je suis resté aux prises avec la jouvencelle pour une matinée complète. Je suis attachant.

Gina, j’ai besoin de votre aide. Il est nécessaire pour mon bien-être (académique) de relâcher mes tensions primaires. Dois-je vraiment sacrifier mes soirées de travail pour m’employer à cette besogne ? Y a-t-il une méthode éprouvée pour profiter des bénéfices en minimisant la dépense ?

Anonymement,

Postdoctorant.

Que de cynisme !

La première mission que je me donne, mon cher, c’est de te rediriger vers le true love, la recherche du bonheur, le zen, la méditation ou la chasse à l’ours. La vraie vie, quoi.

Mon deuxième objectif (qui rendra le premier superflu) est de t’apprendre à séduire une femme rapidement, respectueusement et efficacement.

Ma première réaction : Ô horreur. Y a-t-il vraiment des humains qui calculent horriblement et froidement leur optimisation ? Je suis Gina. Jamais je ne me résoudrai à cette hypothèse. Je refuse de te considérer ainsi. Je vois en toi comme je lis dans les feuilles de thé vert au fond de mon thermos. Je suis convaincue que tu possèdes la force de délaisser les études un moment pour apprendre à plonger dans le tourbillon imprévisible et non mathématique des relations humaines.

Parlant d’humains, tu veux des conseils en matière de séduction. Allons-y. Allume ton radar, jeune nerd optimisé, il y a des filles qui recherchent le court terme, le rapido presto, la beauté du moment.

Sois un rebound (cherche les filles qui viennent de vivre une rupture). Achète-toi une moto et une guitare, va à Trois-Rivières avec le véhicule et l’instrument, prends un accent et deviens un séduisant voyageur musicien.

À des fins de rentabilisation, réutilise la guitare, enroule-toi un foulard beige autour de la tête, élime tes bas de Jeans et trouve un feu de camp (les classes vertes commencent partout dans les camps de vacances). Apprends A Horse with no name, la jeune monitrice succombera.

Même principe pour la moto. Tu la récupères en la peignant toute en orange sirupeux, tu l’offres en installation à la propriétaire sexy d’une galerie d’art sur Saint-Laurent.

Avant de passer aux actes, établis toujours la durée de la relation souhaitée. Pour ne pas briser le moment, plogue les clichés « beauté fugitive », « intensité du présent» et «tes yeux sont magnifiques».

Si tu réussis à t’acheter une moto, à aller dans une galerie et dans un camp de vacances, à parler à une jeune fille en peine d’amour, je sais que tu quitteras la froideur, le cynisme et la rigidité de ton postdoctorat. Et – combien parie-t-on? – tu risquerais même d’avoir du plaisir. Ou pire, d’aimer quelqu’un qui désorganisera complètement tes ambitions intellectuelles.

Gina Caretta