Le long passé chinois du Québec

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Par Patrick Bellerose
mercredi 15 septembre 2010
Le long passé chinois du Québec
Vous croyez que seul l’ex-maire Bourque a une fascination pour la Chine ? Détrompez-vous, le Québec et l’Empire du Milieu partagent des liens uniques qui remontent au début du siècle dernier, explique un sinologue. Il égratigne au passage les concepts de Grande noirceur sous Duplessis et de Révolution tranquille.

 
 
Serge Granger est passionné par la Chine et l’Inde. Aujourd’hui professeur adjoint à l’École de politique appliquée de l’Université de Sherbrooke, son parcours l’a amené à visiter ces deux pays plusieurs fois, notamment à titre de chercheur invité. Il est l’auteur du livre Le lys et le lotus : les relations du Québec avec la Chine de 1650 à 1950.
 
Quartier Libre: Vous avez fait de la relation Québec-Chine un de vos principaux champs de recherches, pourtant on imagine mal que les deux entités aient entretenu des liens fréquents.
 
Serge Granger : En fait, dès le début du XXe siècle, le Québec et la Chine se sont énormément influencés. Dans les années 1940, le Québec était le premier producteur mondial de missionnaires. Et c’est la Chine qui recevait le plus de missionnaires québécois.
 
En retour, ces mêmes groupes de missionnaires formaient des élèves du Québec, dont la future élite politique, tels Pierre Elliott Trudeau et René Lévesque. Les élèves du Québec étaient donc confrontés à beaucoup d’informations sur la Chine. Par exemple, plusieurs des rares films que les jeunes de l’époque pouvaient voir étaient des documentaires sur la Chine tournés par des missionnaires. Il ne faut pas oublier que le clergé interdisait aux mineurs de voir des films hollywoodiens, considérés comme des oeuvres dépravées.
 
À ce sujet, le premier film sonore fait au Québec, À la croisée des chemins, sorti en 1943, était l’oeuvre du missionnaire Jean-Marie Poitevin. Il a été filmé partiellement en Chine et le narrateur du film est nul autre que René Lévesque.
 
Q.L. : Il est donc faux de croire que le Québec était refermé sur lui-même avant la Révolution tranquille ?
 
S. G: Tout à fait. C’est un peu ridicule de découper notre histoire en deux segments aussi distincts : la Grande noirceur sous Duplessis puis la Révolution tranquille sous Lesage. Je ne crois pas que la lumière ait jailli en une seule nuit quelque part entre 1959 et 1960.
 
Il est faux de prétendre que sous Duplessis le Québec était isolé et refermé sur lui-même. Beaucoup de gens à l’époque avaient un intérêt soutenu pour la Chine. Dans nos institutions et nos écoles, on parlait beaucoup de l’étranger par le biais de nos missionnaires ; probablement plus qu’aujourd’hui, d’ail – leurs. Mais bien sûr, ça restait dans une optique religieuse.
 
Même au point de vue culturel, en plus des films déjà mentionnés, on produisait des pièces de théâtre et des radiothons portant sur la Chine. Dans les années 1940, on a fait venir de grands écrivains chinois au Québec. Il y avait des conférences sur la littérature et l’économie chinoise. Il y avait même une revue entièrement dédiée à ce dernier sujet, ce qu’il n’y a pas aujourd’hui !
 
Il faut aussi rappeler qu’il y a eu une exposition universelle à Montréal en 1942 à l’occasion du tricentenaire de la ville, bien avant celle de 1967. Pourtant, on veut nous faire croire que les Québécois se sont ouverts sur le monde en trois semaines grâce à une visite sur l’île Sainte-Hélène…
 
Q. L : On ne peut pas parler des relations Québec-Chine sans mentionner le travail du docteur canadien Norman Bethune, qui a soigné les blessés de l’armée de Mao Zedong durant la guerre sino-japonaise (1937- 1945). Quelle est l’importance du docteur Bethune en Chine ?
 
S. G : Voici une citation du « petit livre rouge» de Mao Zedong : «Tout communiste doit prendre [Norman Bethune] pour exemple. Nous devons apprendre de lui ce parfait esprit d’abnégation. » Bref, tous les Chinois connaissent Norman Bethune.
 
D’un point de vue politique, la participation de Bethune a donné l’impression que l’État canadien est favorable à la République chinoise. Ça nous a aidés à avoir une bonne presse en Chine.
 
Q. L : Si le Canada a si bonne presse en Chine, pourquoi estce que les citoyens chinois n’ont obtenu le droit de venir faire du tourisme ici que l’été dernier ?
 
S. G : Il faut voir les deux côtés de la médaille. Pendant longtemps, le Canada ne voulait pas recevoir de touristes chinois. On disait que les Chinois n’avaient pas le droit de quitter leur pays, ce qui était vrai jusqu’en 1995, mais le Canada n’accordait pas de visas.
 
Maintenant que les Chinois ont de l’argent, le Canada est disposé à les accueillir. Ils doivent quand même venir par le biais d’agences de voyages reconnues et après avoir fait des dépôts d’argent pour s’assurer qu’ils retourneront dans leur pays.
 
Q. L : Comment cette influence chinoise s’est-elle répercutée dans la vie politique du Québec ?
 
S. G : De plusieurs façons. Par exemple, après la Seconde Guerre mondiale, c’est la Chine qui était le symbole de la Guerre froide pour les Québécois, pas l’URSS comme c’était le cas pour les États-Unis. Pourquoi ? Parce que nous avions des missionnaires emprisonnés làbas, tandis que nous n’avions personne en Russie.
 
De la même façon, nos communistes ici étaient maoïstes, pas marxistesléninistes. Nombre de nos personnages politiques ont débuté dans les rangs des maoïstes, qu’on pense à Gilles Duceppe, Jean-François Lisée ou Françoise David. Bien sûr, ils étaient mal informés sur la réalité de la révolution chinoise.
 
Aussi, il ne faut pas s’étonner que le Canada ait reconnu la légitimité de la Chine communiste deux années avant les États-Unis, sous la gouverne de Pierre Elliott Trudeau, qui avait étudié chez les Jésuites. Cette reconnaissance par le Canada a été le début de la fin de l’isolement de la Chine sur la scène internationale, alors que le pays ne bénéficiait même pas d’un siège à l’ONU.
 
Q. L : Et socialement, peut-on voir des traces de cette influence chinoise ?
 
S. G : C’est plus difficile à prouver, mais je me demande si ça n’a pas eu un impact sur l’adoption dans notre province. Environ la moitié des enfants adoptés au Québec proviennent de la Chine. C’est deux fois et demie plus élevé qu’en Ontario et sept fois plus qu’en Colombie- Britannique. Pourtant, les bonnes conditions d’adoption sont aussi valables pour le reste du Canada que pour le Québec.
 
On n’arrive pas à m’expliquer ce phénomène. Mais je pourrais spéculer que, inconsciemment, notre lourd passé chinois nous influence encore.