Le festival de la dernière chance

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Par Frédéric Bouchard
vendredi 15 mai 2015
Le festival de la dernière chance
Le 68ème Festival de Cannes a donné son coup d'envoi le mercredi 13 mai. Crédit photo: Pierre Le Bigot/Flickr https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/legalcode
Le 68ème Festival de Cannes a donné son coup d'envoi le mercredi 13 mai. Crédit photo: Pierre Le Bigot/Flickr https://creativecommons.org/licenses/by-nc-nd/2.0/legalcode
Pour un film, une sélection dans un festival représente une évidente porte d’entrée vers les marchés internationaux. Que ce soit Cannes – qui a débuté mercredi et se poursuivra jusqu’au 24 mai –, Sundance, Berlin ou Venise, les festivals de cinéma créent l’événement. Mais pourquoi les courir alors que les films projetés finissent par atterrir dans nos salles ?

Il y a l’engouement, bien entendu. Un festival comme le Toronto International Film Festival (TIFF) réunit souvent les grandes vedettes d’Hollywood dans le but d’attirer la foule. Le Festival de Cannes inclut aussi, depuis quelques années, davantage de titres américains dans sa sélection officielle (quatre cette année, dont Sicario de Denis Villeneuve, produit aux États-Unis), sans compter les longs métrages de réalisateurs étrangers tournés dans la langue de Shakespeare. Cette ouverture vers le monde anglais permet d’accueillir davantage de célébrités sur le tapis rouge et d’assurer une importante couverture médiatique pour un festival de films.

Mais outre l’inimaginable tribune qu’offre à un film une projection dans un festival (on pensera ici au rôle que joue le Festival du film de Sundance pour les productions indépendantes), une cruelle réalité demeure : tous les films ne connaissent pas le même destin. En effet, bon nombre de longs métrages diffusés dans ces festivals prennent presque un an avant de parvenir aux salles du Québec. C’est le cas, par exemple, de Saint-Laurent de Bertrand Bonello dont la sortie ici coïncidera avec son premier anniversaire de représentation à Cannes. Pire encore, plusieurs de ces œuvres sont proposées directement en format DVD sans jamais prendre l’affiche.

À Montréal, cette vérité est encore plus frappante. Le Festival Fantasia, le Festival du nouveau cinéma, CINEMANIA, le Festival International du Film Black de Montréal ainsi qu’IMAGE+NATION représentent, pour les amateurs les plus aguerris, la chance de voir sur grand écran certaines productions qu’ils ne reverront jamais dans des conditions semblables. En fait, rares y sont les films qui pourront se payer le luxe d’une sortie en salles, aussi discrète soit-elle. Par exemple, des quinze longs métrages en compétition officielle lors de l’édition 2014 du Festival du nouveau cinéma, seuls deux ont pris l’affiche ultérieurement.

Naturellement, le marché au Québec n’est pas le même qu’en Europe et qu’aux États-Unis. L’offre locale de films étrangers ou ayant parcouru les festivals est difficilement comparable à celle de ces marchés. Assurer un rayonnement à tous ces longs métrages est ardu. Aussi, les amoureux du septième art favorisent-ils ces célébrations presque sacrées afin d’admirer des œuvres parfois condamnées d’avance ? 

Ce qui est certain, c’est que les festivals permettent de créer une forme d’exclusivité pour les festivaliers, à défaut d’assurer l’éventuelle disponibilité au grand public de tous les titres. Nos nuits cinématographiques n’ont peut-être pas l’influence de Cannes ou le glamour du TIFF, mais elles ont au moins le pouvoir de faire sentir au spectateur qu’il est extrêmement privilégié.