Le destin des États arabes

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Par Justin D. Freeman
mardi 5 avril 2011
Le destin des États arabes

Ben Ali et Moubarak renversés, Kadhafi au coeur d’une sanglante guerre civile, soulèvements en Syrie et au Bahreïn… Le monde arabe vit depuis fin 2010 une période de transformations majeures. Plutôt que les réseaux sociaux dont on aurait exagéré le rôle, de profondes mutations sociales seraient à l’origine des révoltes.

La propagation virale, via les réseaux tels que Facebook ou Twitter, a été pointée comme l’une des responsables des révoltes, ou au moins comme un puissant catalyseur. Pourtant, en Tunisie, c’est moins d’un foyer sur trois qui a accès à Internet. En Jordanie, c’est un foyer sur quatre, en Égypte, un foyer sur cinq. Au Yémen, c’est tout juste un foyer sur 100.

Selon le site Slate.fr, l’arbre Facebook cache en réalité «une forêt de fusils». C’est quand les armées ont retiré leur soutien aux dictateurs en place (en Égypte et en Tunisie) que le peuple a véritablement pu manifester. Le black-out des communications du 27 janvier – pendant lequel 88 % des accès Internet ont été coupés en Égypte – n’a pas freiné la révolution en marche. Les manifestants étaient toujours dans les rues du Caire, le lendemain, rejoints par une armée calme et complaisante, acquise aux aspirations populaires.

« Ce sont les militaires qui, en fin de compte, déterminent quand et comment meurt une dictature», écrit Moisés Naim, associé à la Fondation Carnegie pour la paix internationale. C’est d’autant plus vrai en Libye ou au Bahreïn. Sans les mercenaires, les soldats dissidents et les manifestants auraient probablement déjà repris le pouvoir dans ces pays.

 

Recul relatif de l’ingérence

Le mécontentement des peuples arabes ne se serait pas accru de façon significative au cours des dernières années ; c’est plutôt que les citoyens ne l’avaient pas encore exprimé massivement et ouvertement. Le moindre signe de contestation était réprimé par les pouvoirs en place, qui justifiaient bien souvent leur autoritarisme par des pressions occidentales leur suggérant de contenir la «rue arabe», réputée incontrôlable.

Pourtant, après les «échecs» (tout au plus la réussite très relative) des interventions occidentales en Irak ou en Afghanistan, les peuples arabes savent qu’il y a peu de chances qu’une force étrangère s’ingère dans les conflits, du moins sur le terrain. Même en Libye, au sujet de laquelle une résolution de l’ONU a été déposée le 17 mars dernier pour autoriser les frappes aériennes, aucune force terrestre n’est encore entrée officiellement sur le territoire. La résolution votée exclut d’ailleurs la possibilité de « déploiement d’une force d’occupation étrangère sous quelque forme que ce soit et sur n’importe quelle partie du territoire libyen».

De la démocratie à la démographie

Dans son ouvrage de 2007 Le rendez-vous des civilisations, le démographe et historien français Emmanuel Todd est l’un des seuls à avoir prédit un soulèvement quasi généralisé des populations arabes. Pour lui, les sociétés humaines tendent toutes vers la modernité, la paix et la démocratie. Les transitions politiques majeures apparaîtraient avec les changements démographiques, quand le taux d’alphabétisation grimpe et que la fécondité baisse. Notamment, selon Éric Le Boucher de Slate. fr, la fécondité est le marqueur d’« embourgeoisement » d’une population : plus le niveau de vie s’élève, plus la mortalité infantile baisse et moins les naissances sont nombreuses.

L’alphabétisation permet quant à elle de mesurer le niveau de conscience des populations. Selon cette logique, il n’est pas étonnant de retrouver le Bahreïn dans la liste des pays en révolte. Les habitants y étudient en moyenne 10,5 ans et la natalité n’y est que de 2,16 enfants par femme. Le cas de la Tunisie est assez similaire avec une moyenne de 6,5 années d’études pour une natalité très basse, seulement 1,83 enfant par femme.

« Il y a un sentiment d’autonomisation, les gens se sentent le courage d’agir. Ils se rendent compte qu’ils peuvent vraiment changer leur gouvernement », relaye L’Express, d’après les propos de Fawaz Gerges, spécialiste de la politique au Moyen- Orient à la London School of Economics. Un petit pas pour l’homme, un grand pas pour la démocratie ?