Le complexe du castor

icone Culture
Par Louis-Philip Pontbriand
mercredi 13 novembre 2019
Le complexe du castor
La comédienne Christine Beaulieu improvise certaines parties de son texte à chaque représentation. Elle s'est intéressée à ce sujet après avoir ententu parler du film Chercher le courant, des réalisateurs Nicolas Boisclair et Alexis de Gheldere. Photo : courtosie Pierre-Antoine Lafon-Simard
La comédienne Christine Beaulieu improvise certaines parties de son texte à chaque représentation. Elle s'est intéressée à ce sujet après avoir ententu parler du film Chercher le courant, des réalisateurs Nicolas Boisclair et Alexis de Gheldere. Photo : courtosie Pierre-Antoine Lafon-Simard
Depuis 2015, la pièce de théâtre J’aime Hydro suscite de l’intérêt — et des débats — partout où elle passe. Cette réflexion sur la relation parfois ambivalente entre le public québécois et sa plus importante société d’État a franchi les frontières de la Belle Province pour la toute première fois du 6 au 9 novembre derniers, invitée par le Centre national des arts à Ottawa.
« On ne joue pas la pièce dans le noir pour autant parce qu’on parle d’énergie ! »
Philippe Cyr, metteur en scène de J’aime Hydro

« L’ idée était considérée comme un peu folle au début, à cause de la complexité de la chose et de l’impossibilité de la rendre fun », affirme la dramaturge de la pièce, fondatrice et directrice artistique de la compagnie de théâtre documentaire Porte-Parole, Annabel Soutar. « Même si aujourd’hui, ça paraît évident », ajoute-t-elle. Mme Soutar a approché la comédienne Christine Beaulieu en 2014 pour lui demander d’écrire le texte de J’aime Hydro et d’en interpréter le rôle principal. Le résultat est un récit autobiographique narrant l’enquête citoyenne de cette dernière, afin de mieux comprendre la place qu’occupe Hydro-Québec dans la société et dans l’imaginaire collectif québécois.

« En effectuant la recherche pour une autre pièce, Le partage des eaux, j’ai découvert qu’Hydro-Québec était très réticente à embarquer dans un dialogue public sur la santé des rivières, poursuit Mme Soutar. Je me suis demandé pourquoi. » Elle précise que Mme Beaulieu était proche de Roy Dupuis, le porte-parole et cofondateur de l’organisme Fondation Rivières, qui milite pour la protection des rivières québécoises. L’idéation de J’aime Hydro et la décision d’en attribuer le rôle principal à Mme Beaulieu coulaient donc de source, selon elle.

Maîtres chez nous

Anglophone d’origine, Mme Soutar explique qu’il était indispensable que cette enquête citoyenne soit racontée du point de vue d’une francophone, ne serait-ce que pour la question du lien avec le public. « « Maîtres chez nous », c’est une idée propre à la communauté francophone, développe-t-elle. Beaucoup de francophones se réfèrent à cette initiative de nationalisation de l’électricité comme un premier et important acte du développement économique du Québec. C’est un lien très émotionnel et une source de fierté. » Elle fait ici référence à une phrase emblématique de la Révolution tranquille des années 1960, durant lesquelles le Québec s’est doté d’un État-providence moderne, qui a notamment poursuivi la nationalisation de l’électricité, amorcée en 1944 lors de la fondation d’Hydro-Québec.

Mme Soutar a présenté le projet pilote de J’aime Hydro au festival OFFTA en 2015, en marge du Festival Trans-Amérique (FTA). « Tout de suite, d’autres partenaires comme le FTA et l’Usine C nous ont proposé de diffuser notre pièce, se souvient-elle. Et La Licorne, aussi. »*

 

JH-4-Productions_Porte_Parole-Sylvie-Ann Paré_SANS-LOGO

L’interprète Mathieu Gosselin interprète 28 personnages différents de la pièce. Photo : courtoisie Sylvie-Ann Paré

 

Harnacher pour harnacher

La dramaturge mentionne que le premier ministre François Legault participe à la pièce, depuis cette année, sous la forme d’une authentique entrevue enregistrée. « On sent que M. Legault est très excité par l’idée que le Québec devienne la « batterie » de l’Amérique du Nord, explique-t-elle. Le constat que fait Christine à la fin de la pièce est que l’on doit développer l’économie d’énergie plutôt que de construire des nouveaux kilowattheures. » Mais Mme Soutar soupçonne également le premier ministre de vouloir aménager d’autres rivières pour mieux en exporter l’électricité produite. « C’est ce que Roy Dupuis appelle le complexe du castor, précise -t-elle. On a juste l’instinct de faire ce qu’on a toujours fait dans le passé, au lieu de regarder vers l’avenir. »

Le metteur en scène de la pièce, Philippe Cyr, dénonce lui aussi cette attitude. « Il y a une admiration aveugle de ce que les humains bâtissent, souvent au détriment de la nature, déplore-t-il. On retrouve cette critique dans la pièce : la scénographie reflète ce thème de l’amour du bâti. Mais on ne joue pas la pièce dans le noir pour autant parce qu’on parle d’énergie ! ».

Le comédien Mathieu Gosselin interprète 28 personnages de la pièce, dont celui d’Annabel Soutar. « Au moins, tous les personnages de la pièce existent et on peut en écouter des enregistrements, se rassure-t-il. Mais on ne peut pas toujours imiter les vraies voix sur scène, parce que le public n’y croirait pas : parfois, la réalité dépasse la fiction ! ». L’un des personnages est également incarné par le comédien Mathieu Doyon, qui est aussi concepteur sonore de la pièce.

 

JH-6-Sylvie-Ann Paré-SANS-LOGO

J’aime Hydro aborde la place importance qu’occupe Hydro-Québec dans l’identité et dans l’imaginaire québécois. Photo : courtoisie Sylvie-Ann Paré

 

* Cet article a été modifié le 17 novembre 2019. Les versions précédentes indiquaient, par erreur, qu’une entreprise métallurgique comptait parmi les diffuseurs de cette pièce, alors qu’il s’agit en fait du Théâtre la Licorne. Nos excuses.