Le cinéma et les autres

icone Debats
mercredi 3 février 2016
Le cinéma et les autres
On a ainsi beaucoup reproché à The Hateful Eight, le dernier film de Quentin Tarantino son aspect « théâtral » . [...] force est de constater que la comparaison sous-entend une critique négative du film, comme si le théâtre était nécessairement « moins bien » que le cinéma. Crédit Photo : Courtoisie Les Films Séville
On a ainsi beaucoup reproché à The Hateful Eight, le dernier film de Quentin Tarantino son aspect « théâtral » . [...] force est de constater que la comparaison sous-entend une critique négative du film, comme si le théâtre était nécessairement « moins bien » que le cinéma. Crédit Photo : Courtoisie Les Films Séville
Quand il s’agit de cinéma, la comparaison est souvent l’arme du critique. Parler d’une esthétique « clip », d’une mise en scène « théâtrale » ou d’un scénario « bande dessinée » suffit souvent à donner un avis définitif sur un film. Mais ces analogies hâtives sont peut-être le vieux symptôme d’un art en mal de légitimité.

Pendant longtemps, le cinéma a manqué de noblesse. Pour qu’il puisse entrer au panthéon de l’Art, on a cru qu’il était nécessaire de le comparer à des formes artistiques plus attestées. C’est sur cette idée que naît en 1908 Le Film d’Art, société de production cinématographique française dont l’ambition est de réaliser des « films artistiques ». Très conscient de l’aspect essentiellement forain du cinéma à l’époque, on convoque des membres de l’Académie française pour le scénario et des comédiens de la Comédie française, au jeu. L’Assassinat du Duc de Guise, leur premier film — aujourd’hui complètement oublié de l’histoire du cinéma — est alors salué par la critique, insistant sur ses qualités « littéraires » et « théâtrales ». 

Mais depuis, le cinéma a bien changé. Trop soucieux d’être une forme « à part », il s’est débarrassé de toute comparaison artistique pour devenir un « septième art » absolu et unique. Si bien que chaque analogie avec une autre forme est devenue négative. S’il manque de réalisme, on le taxe de faire « bande dessinée », s’il est complexe sur le plan narratif, il est « trop littéraire ». Un huis clos, c’est « théâtral ». Par ailleurs, on peut remarquer que ces critiques sont marquées souvent par une méconnaissance du genre comparé : le huis clos est loin d’être l’apanage du théâtre, comme le prouve Shakespeare avec ses scènes de bataille. Et la bande dessinée, quant à elle, a bien des leçons de scénario et de montage à donner au cinéma.

L’âge de raison

On a ainsi beaucoup reproché à The Hateful Eight, le dernier film de Quentin Tarantino son aspect « théâtral ». En cause, une intrigue se tenant essentiellement dans un huis clos et une place importante donnée aux dialogues. Si le réalisateur s’en moque, allant même jusqu’à annoncer une version sur scène du film, force est de constater que la comparaison sous-entend une critique négative du film, comme si le théâtre était nécessairement « moins bien » que le cinéma. Il est intéressant de remarquer qu’à l’inverse, on parle des qualités « cinématographiques » d’une pièce de théâtre de manière bien plus élogieuse, comme c’est le cas pour les spectacles de Robert Lepage.

De Hitchcock à Reservoir Dogs, du même Tarantino, l’histoire du cinéma reste marquée par de grands huis clos riches en dialogue. Une histoire du cinéma nourrie de ses héritages dramatique et littéraire — Agatha Christie n’est jamais bien loin — dans laquelle The Hateful Eight s’insère pleinement. Le cinéma est peut-être maintenant suffisamment mature pour n’avoir plus rien à prouver et pour survivre sans souffrir des comparaisons. Tant mieux, s’il s’inspire du théâtre, de la bande dessinée, des clips ou de la littérature. Du moment que le film est réussi.