La musique trouve son public

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Par Jean-Baptiste Demouy
vendredi 15 mars 2019
La musique trouve son public
Quatre des seize pistes de l'album de Laurence Manning seront tirés de l'univers de Link, le personnage de la série Nintendo, La légende de Zelda (illustration Pixabay).
Quatre des seize pistes de l'album de Laurence Manning seront tirés de l'univers de Link, le personnage de la série Nintendo, La légende de Zelda (illustration Pixabay).
La docteure en interprétation piano de l’UdeM Laurence Manning a vu l’objectif de financement en ligne de son album consacré aux musiques de jeux vidéo atteint en une journée. Pour les experts consultés, ce genre musical tend à s’affranchir de son support visuel pour toucher un plus large public.
Avec une bonne musique de jeux vidéo, les joueurs vont naturellement faire des neuro-associations entre la musique qu’ils entendent et leurs émotions.
François-Xavier Dupas Professeur de composition pour l’écran à l’UdeM

«Ma levée de fonds a déjà dépassé les 200 % », s’exclame Laurence. Son projet de financement en ligne, lancé le 17 février, a franchi le seuil de 3 500 $ en moins de 24 heures. Le 12 mars, 190 contributeurs ont participé à hauteur de 8 200 $, permettant à la musicienne d’accéder à l’une des meilleures qualités d’enregistrement pour son album studio.

« Les gens sont là pour la musique elle-même, parce qu’elle les a marqués, se réjouit celle qui vient tout juste d’obtenir son doctorat à l’UdeM. Ils veulent voir cet album réalisé. » En arrangeant, en improvisant et en ajoutant des compositions aux musiques de jeux vidéo qu’elle interprète, Laurence suscite autour d’elle un engouement fort.

Un genre en plein boom

La post-doctorante à la Faculté de musique de l’UdeM Irina Kirchberg observe également cette effervescence. « Il y a un vrai public pour ce type de musique », indique celle qui est également clarinettiste pour l’Orchestre de jeux vidéo, composé d’amateurs confirmés et passionnés de gaming. « Le phénomène, c’est la multiplication des concerts qui lui sont consacrés et qui brassent un public totalement différent de celui de la musique classique », ajoute-t-elle. Irina souligne que des vocations se créent même autour de cette forme d’expression. « J’appelle ça une « carrière d’auditeurs », dit la post-doctorante. Il y a des musiciens ou même des chefs d’orchestre qui se spécialisent dans ce style aujourd’hui. » Avec la création de maisons de production et d’organismes, il y a, selon elle, un réel développement dans ce milieu.

Cette tendance, le professeur de composition pour l’écran à l’UdeM François-Xavier Dupas l’a également remarquée. « Ma compagnie de musique à l’image a vu certaines de ses productions jouées par l’Orchestre métropolitain l’année passée, fait-il remarquer. Et petite anecdote, notre musique pour le jeu Ultimate Chicken Horse s’est vendue à des dizaines de milliers d’exemplaires. Cette musique peut donc très bien vivre par elle-même. »

Selon lui, la musique n’était, au début, qu’un élément avec lequel les programmeurs avaient bataillé, faute d’espace de stockage et de connaissances en la matière. « Nintendo est la première entreprise à avoir fait de la musique une culture à part, avec Mario ou encore Zelda, » explique-t-il. Elle est inhérente à l’expérience de jeu, selon lui, ce qui peut créer un attachement très fort à celle-ci.

Les défis de la composition

« L’enseignement de la composition pour les jeux vidéo reste toutefois quelque chose d’assez récent, indique M. Dupas. L’UdeM est la première université à avoir incorporé une formation de composition de musique à l’image pour ce médium. » Il met également en avant le terreau fertile que constitue la ville de Montréal pour développer cet apprentissage.

« La composition pour les jeux vidéo diffère de celle pour le cinéma, explique le professeur. Les contraintes sont en grande partie techniques. Nous devons prendre en compte l’espace de stockage mis à notre disposition, mais aussi l’interactivité. » Par interactivité, M. Dupas entend l’immersion et la réaction de la musique aux actions du joueur. Il souligne à cet effet que la synchronisation à l’image n’est pas aussi cruciale que dans le cinéma, et que le travail de composition commence très tôt dans le processus de production. « Le compositeur de musique de film arrive souvent devant une image finale, note-t-il. De notre côté, avec le concept et quelques images, nous pouvons déjà commencer à travailler. »

Selon lui, l’important est d’immerger le joueur dans le jeu. « Avec une bonne musique de jeux vidéo, les joueurs vont naturellement faire des neuro-associations entre la musique qu’ils entendent et leurs émotions. »

Ces thèmes, d’après Laurence, se répéteront à de nombreuses reprises et se doivent d’être les plus accrocheurs possible. La docteure rencontre également différents défis lorsqu’elle décide de réarranger une composition pour piano. « Les arrangements doivent retranscrire l’esprit originel de la composition, tout en apportant quelque chose », indique-t-elle, précisant que l’enjeu réside dans l’habillement du thème, car les arrangements ne sont pas toujours très développés. « Il y a donc un travail de composition important lorsque j’adapte certaines musiques 8 bits [voir encadré], comme celles des vieux Zelda », conclut-elle. La musicienne pourra s’essayer à l’exercice lors de ses séances d’enregistrement en studio, les 6 et 7 avril prochains.

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