La mauvaise éducation

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Par Etienne Galarneau
jeudi 19 octobre 2017
La mauvaise éducation
(Photo: Max Pixel)
(Photo: Max Pixel)

Cet éditorial doit commencer par un aveu de culpabilité. Je suis complice, peut-être même responsable.

Depuis lundi, mon fil d’actualité sur les réseaux sociaux est tout bleu, recouvert du mot-clic #MoiAussi, partagé par mes amies et collègues qui ont été victimes de harcèlement, d’agression, de viol.

Que l’on s’entende. Jamais de ma vie me suis-je dit que je commettrais un acte de harcèlement ou de violence à caractère sexuel envers quiconque. Sauf qu’en tant qu’homme blanc, hétérosexuel, cisgenre, mesurant six pieds, né en Amérique du Nord, qui n’a jamais vraiment connu de difficulté financière, je n’ai pas le choix que de me demander si je suis aussi irréprochable que je le pense.

Fantaisie et réalité

On m’a toujours enseigné, dans ma famille et à l’école, à respecter les autres, tout genre, toute ethnicité et tout âge confondus. Mais les films hollywoodiens m’expliquent depuis toujours que le protagoniste des comédies romantiques fini toujours avec celle que son cœur a choisi. Lorsqu’on a les deux pieds dans le privilège, on pense rapidement que les choses nous sont dues.

Le sont-elles ? Bien sûr que non. Il se trouve que ma vie n’est pas scénarisée par des scripteurs professionnels, contrairement à celle des personnages de Freddie Prinze Jr. Sortir sa tête de la fiction demande un travail introspectif qui peut être plus difficile pour certains que d’autres. Je crois y être parvenu, mais, privilège oblige, je dois le faire constamment.

Cette introspection est nécessaire pour tous, au masculin, mais doit aussi être faite à un plus grand niveau. Les membres de la campagne Notre Tour, lancée le 11 octobre dernier, travaillent à ce que les universités canadiennes effectuent cet exercice.

Née d’une initiative d’étudiantes de l’Université Carleton à Ottawa, la campagne propose d’évaluer l’état des mesures sur les campus pour contrer les violences à caractère sexuel. Grâce à une grille divisée en cinq sections et quarante-cinq critères, le regroupement a attribué une note à quatorze universités à travers le pays. À la suite de la compilation des résultats, les deux établissements québécois mis à l’épreuve, l’Université McGill et l’Université Concordia, ont eu respectivement les notes de C- et D-.

Si Concordia se situe en dernière place du classement avec une pondération finale de 52 %, le portrait est un peu plus lumineux du côté de nos collègue situés de l’autre côté du mont Royal. Certains des critères les plus payants, comme l’existence d’une politique qui encadre la protection contre les violences sexuelles (12 points) et une définition institutionnelle du consentement qui implique les facteurs comme l’alcool, les relations de pouvoir et son retrait possible en tout temps (5 points) sont respectés par l’université. Le bât blesse lorsqu’il est question de la protection différente pour les employés et les étudiants (-4 points), de l’absence d’un comité formé d’une tierce partie pour l’évaluation des plaintes (-2 points) ou de celle d’une politique concernant directement les violences à caractère sexuel (-6 points).

Un pas devant, deux pas derrière

Le fait est que les bonnes intentions sont insuffisantes pour constituer une solution à long terme à ce problème. Lorsqu’on observe l’évaluation de McGill, on voit des outils disponibles et importants, mais l’établissement échoue à obtenir les deux points alloués à la mention de la culture du viol dans ses documents pédagogiques. Il faut cesser de contourner le problème et prendre action.

Quartier Libre a fait paraître le 19 octobre 2016 un dossier concernant la culture du viol. À l’époque, cette série d’article se situait dans la foulée des déclarations de la ministre de l’Éducation supérieure, Hélène David, concernant le climat des initiations universitaires. Cette situation a d’ailleurs été soulevée avec brio par nos collègues du journal de la Faculté de droit, Le Pigeon Dissident.

On apprenait le 16 octobre de la même année qu’une série d’entrées par effraction et d’agressions sexuelles dans les résidences de l’Université Laval avait été effectuées. Expulsé du campus, le présumé agresseur est retourné sur les bancs d’école pour la session d’automne ; cette fois, au campus de Lévis de l’Université du Québec à Rimouski.

Quelque deux semaines avant d’écrire ces lignes, le producteur de films américain Harvey Weinstein est accusé par plus d’une quarantaine d’actrices de harcèlement et d’agression sexuelle à leur égard. Peut-être est-il derrière les films responsables de ma mauvaise éducation à ce sujet.

Au moment de publier notre dossier en 2016, j’avais l’impression que notre voix n’était qu’une goutte dans l’océan de littérature sur le sujet. Le fait que #moiaussi attire une sympathie si spontanée mène à croire qu’il faut plus qu’un océan pour que ce problème ne s’échoue et ne devienne qu’une épave, vestige d’une époque dépassée.