La maladie dans le secret

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Par Félix Lacerte-Gauthier
mercredi 14 mars 2018
La maladie dans le secret
Les troubles alimentaires peuvent affecter n'importe qui, indépendamment de l'âge, du sexe ou du statut social de la personne. (Photo: pixabay.com | Tero Vesalainen)
Les troubles alimentaires peuvent affecter n'importe qui, indépendamment de l'âge, du sexe ou du statut social de la personne. (Photo: pixabay.com | Tero Vesalainen)
Bien que tabou, la problématique des troubles alimentaires à l’université demeure réelle. Une étudiante de la Faculté de droit* qui a reçu un diagnostic d’anorexie a accepté de se confier au journal.
La minceur est tellement valorisée par la société que les gens de mon entourage étaient en admiration devant mon mode de vie “santé” et ma discipline et souhaitaient être comme moi.
Une étudiante de la Faculté de droit de l’UdeM

Apparition de points noirs, sueurs nocturnes, absence de menstruations, plus grandes pertes de cheveux. Ce sont quelques-uns des symptômes qui ont affecté l’étudiante. Pourtant, elle a hésité à aller chercher de l’aide et se trouvait des excuses pour expliquer ses symptômes. « C’est mon copain, qui était déjà conscientisé à la problématique des troubles alimentaires, qui a fini par dire que j’avais un problème et qu’il allait m’amener à l’hôpital, » confie-t-elle.

En novembre 2016, elle a reçu un diagnostic d’anorexie, quatre ans après avoir commencé à entretenir une relation malsaine avec son corps et la nourriture. « Je me trouvais ridicule d’aller chercher de l’aide, je me disais que je n’étais pas assez maigre pour cela, affirme-t-elle. Je pensais que je ne répondais pas aux critères sociaux de l’anorexie. » Aujourd’hui, l’étudiante est en rémission. Pas encore complètement guérie, elle doit poursuivre son suivi psychologique afin d’éviter une rechute.

« Un trouble alimentaire n’est pas nécessairement facile à reconnaître pour la personne qui en souffre, révèle la psychologue à la Clinique de psychologie des troubles alimentaires Marie-Ève Turgeon. C’est le moment d’aller chercher de l’aide dès que la personne en identifie des symptômes. Il y a des solutions, ça ne vaut pas la peine de rester seul avec ça. » Elle explique que les proches peuvent aider en étant présents et en prenant le temps d’écouter la personne souffrante. « On devrait revoir notre conception des troubles alimentaires, poursuit la psychologue. Ce n’est pas seulement un trouble de jeunes filles adolescentes ! Tout le monde peut en développer un. »

Vivre le trouble au quotidien

L’étudiante estime que le contexte universitaire a fait en sorte que son trouble a empiré. « Mon univers social était composé de filles qui étaient au régime, qui voulaient perdre du poids, qui ne mangeaient pas, qui calculaient leur dépense de calories, explique-t-elle. Ce sont des comportements qui sont presque valorisés et ça a eu un effet d’entraînement sur moi. » D’un même souffle, elle dénonce le contexte créé par la Faculté de droit, où la nécessité d’obtenir les meilleures notes afin de décrocher un stage nuit à la santé mentale des étudiants. « On est submergé, se désole-t-elle. On est dans un milieu où il faut travailler aux dépens de nos besoins. C’est important de prendre du temps pour soi, mais il y a une surcharge de travail, nos études ne le permettent pas. »

Les effets de sa maladie se sont également fait sentir dans les différents évènements auxquels elle était invitée. « Il y a beaucoup d’isolement dans l’anorexie, parce que quand on y pense, les activités sociales tournent souvent autour de la nourriture et de l’alcool, deux choses qui font très peur lorsqu’on est anorexique, admet-elle. Je trouvais des excuses pour ne pas avoir à manger ou à boire. » Elle avoue également que la sensation d’être constamment affamée accaparait ses pensées et a nui à ses relations interpersonnelles. « Tu n’es pas capable d’avoir une conversation profonde avec une personne ou d’être vraiment présente d’esprit, puisque tu penses constamment à la nourriture », confie-t-elle.

L’isolement est souvent vécu par les personnes souffrant de troubles alimentaires, confirme Mme Turgeon. « Les troubles alimentaires sont souvent vécus en secret, notamment en raison de la honte d’y être associés, explique la psychologue. Il y a beaucoup de mythes et de fausses croyances les entourant. » Des situations de conflits peuvent également survenir plus souvent, alors que les personnes souffrantes ont d’importants changements d’humeurs, selon l’experte. De même, les relations intimes peuvent également être difficiles puisque les anorexiques ont souvent une image négative d’eux-mêmes.

Oublier le stress

Le trouble alimentaire de l’étudiante prenait davantage de place lors de ses examens. « C’est une échappatoire, lance-t-elle. Tu réfléchis tellement à ça que tu n’as plus d’espace dans ta tête pour stresser sur les examens. Je mangeais normalement avant une évaluation, parce que je savais que j’avais besoin de me concentrer, mais après je jeûnais pour compenser. » Aucun de ses professeurs n’était informé de sa situation. Elle ne l’a d’ailleurs dévoilée qu’à quelques personnes particulièrement proches de son entourage.

Pour les autres qui ignoraient sa maladie, elle était plutôt un exemple à suivre. « La minceur est tellement valorisée par la société que les gens de mon entourage étaient en admiration devant mon mode de vie “santé” et ma discipline et souhaitaient être comme moi », se désole-t-elle.

« Les situations stressantes peuvent venir accentuer les symptômes des troubles alimentaires, explique Mme Turgeon. Dans un contexte de stress, le trouble alimentaire peut servir à la personne comme moyen d’apaisement temporaire de l’état émotionnel inconfortable de stress. Un moyen de ne pas le ressentir, en quelque sorte. » Différents symptômes incluent les restrictions alimentaires, les régimes, tout comme une relation malsaine vis-à-vis l’exercice physique.

L’étudiante affirme que, de manière assez ironique, sa rémission a plutôt eu des répercussions négatives sur ses notes, alors qu’elle a appris à écouter davantage les besoins de son corps. « Plutôt que d’étudier jusqu’à 2 h du matin, j’allais dormir. Si j’avais besoin d’une pause, je la prenais », illustre-t-elle. Un contraste, puisqu’auparavant elle se donnait des règles strictes pour régir sa vie. Elle se sent néanmoins beaucoup mieux dans sa peau et apprend à s’aimer telle qu’elle est.

* Par crainte d’être stigmatisée au sein du milieu universitaire et que son témoignage puisse avoir des conséquences lors de la recherche d’un emploi dans son domaine d’études, l’étudiante a demandé l’anonymat.


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