Volume 18

La fin d’un tabou

Le suicide est en baisse constante depuis une dizaine d’années. Sylvie Corbeil, la psychologue au Centre de santé et de consultation psychologique (CSCP) de l’UdeM qui anime les formations sur la prévention du suicide pour les étudiants du campus, fait le bilan de deux décennies d’une lutte fructueuse.

« On est passé de 1 500 suicides à moins de 1 100 suicides par année. C’est énorme ! » – Sylvie Corbeil, psychologue au centre de santé et de consultation psychologique. Crédit Pascal Dumont

Quartier Libre : Vous travaillez sur la problématique du suicide depuis ces 20 dernières années.Au fil des ans, constatez-vous une évolution dans le comportement des étudiants face aux actions de prévention du suicide ?

Sylvie Corbeil : Oui, un changement remarquable ! On en parle plus qu’il y a 20 ans. Les gens sont moins gênés d’aborder le sujet. Avant, c’était plus caché et l’ambiance autour du suicide était lourde. Je tenais des kiosques de prévention du suicide dans les corridors et personne ne venait. Les gens nous regardaient de loin, avec beaucoup de peur, sans doute la peur d’être stigmatisé dans le cas des suicidaires, mais également dans le cas de leurs proches. Depuis les 10 dernières années, les personnes s’arrêtent et se confient. Le suicide n’est plus tabou. Avant on faisait « l’autruche », on ne voulait pas savoir parce que quand on sait, on se sent responsable d’une vie, de maintenir en vie quelqu’un qu’on considère ne plus vouloir vivre. Maintenant les gens en savent un peu plus et cherchent davantage comment faire.

Q. L. : Vous parlez d’une évolution dans le comportement des gens face à la question du suicide.Où en sommes-nous actuellement ?

S. C. : On est dans la génération des gens qui ont vécu, depuis l’adolescence, des suicides chez leurs proches, leurs connaissances ou dans le voisinage. Entre 1980 et 2000, le taux de suicide a beaucoup augmenté. Les étudiants de l’université ont déjà été exposés à cette problématique et sont plus ouverts à venir chercher une infor- mation plus spécifique pour aider un proche. La population et les intervenants sont plus sensibles à cette question puisqu’on aborde de plus en plus le sujet. De cette manière, on peut intervenir plus efficacement face à une personne fragile psychologiquement, on a moins peur d’affronter le problème.

Q. L. : Dans un rapport de 2011, on remarque principalement la diminution du taux de mortalité par suicide depuis 1999 au Québec. Pensez-vous que la prévention du suicide ait des effets positifs ?

S. C. : J’ai tendance à le penser. Ça fait un peu plus de 20 ans qu’on fait des programmes de prévention du suicide au Québec. Ils se sont beaucoup affinés, améliorés, développés. Ils cernent beaucoup mieux les besoins des populations à risque en particulier. De 1950 à 1999, le taux de suicide au Québec n’a cessé d’augmenter. Et depuis 10 ans, on est passé de 1500 suicides à moins de 1100 suicides par année. C’est énorme! Mais le suicide est un phénomène multidéterminé – par des facteurs familiaux, sanitaires, économiques –, c’est difficile de connaître les causes exactes de la diminution. Je pense tout de même qu’il doit y avoir un impact des programmes de prévention du suicide qui s’adressent à la population générale, mais aussi des efforts fournis pour former les intervenants à cette problématique complexe.

Propos recueillis par Vanessa Mounier

 

La prévention du suicide en questions à…

Francine Gratton, professeure retraitée de la Faculté des sciences infirmières de l’UdeM, et chercheuse au Centre de recherche et d’intervention sur le suicide et l’euthanasie (CRISE) :

Le nombre de suicides a baissé au Québec. La semaine de prévention a-t-elle contribué à cette diminution?

« À peu près partout dans le monde, il y a une diminution des taux de suicide. Est-ce qu’on fait des ateliers partout ? Pas sûr. Il est difficile d’affirmer qu’il y a une répercussion directe, mais il est certain que cela ne nuit pas.»

Alain Lesage, psychiatre et professeur titulaire à la Faculté de médecine de l’UdeM :

Que répondriez-vous aux gens qui pensent que des actions comme la Semaine de prévention du suicide donnent des idées aux gens fragiles psychologiquement ?

« Le message véhiculé lors des préventions contre le suicide n’est pas le suicide en tant que tel, mais de sensibiliser les gens à être attentifs et à venir rapidement en aide aux personnes ayant un profond mal-être. »

Propos recueillis par Vanessa Mounier

 

Opération suicide à l’UdeM

Regarder, écouter, aider

Perturbation du sommeil ou de l’appétit, diminution du plaisir, dévalorisation excessive ou sentiment de culpabilité, désespoir, isolement, tristesse, irritation, baisse de concentration : autant de symptômes qui peuvent être causés par le blues hivernal ou par un mal-être bien plus profond. La psychologue Sylvie Corbeil, qui anime un atelier dans le cadre de la Semaine de prévention du suicide à l’UdeM, explique les signes à surveiller afin de détecter les personnes à risque et comment agir avant qu’il ne soit trop tard.

D’abord, fiez-vous à votre intuition. Si la personne ne vous semble pas comme d’habitude, questionnez-vous davantage. Surveillez ensuite si les symptômes de dépression observés sont significatifs et persistants. Si la personne a récemment vécu un événement qui a eu un impact important sur elle (échec scolaire, rupture amoureuse, conflit relationnel ou familial), c’est un facteur de risque supplémentaire.

Abordez ensuite la question du suicide directement avec la personne qui a des idées suicidaires. Le passage à l’acte est souvent le résultat d’un long processus. « Tant qu’elle communique, elle s’attend à quelque chose », illustre Sylvie Corbeil. Évaluez plutôt le réalisme de ses intentions en cherchant à savoir quand, où et comment elle compte passer à l’acte.

Enfin, communiquez avec les proches de la personne. Ne gardez jamais le secret des intentions suicidaires de quelqu’un. « Chacun peut créer le filet de sécurité, c’est l’affaire de tout le monde », conclut Sylvie Corbeil.

 

Les bénévoles du kiosque Écoute-Référence offrent des informations utiles à propos du suicide et une oreille attentive aux étudiants qui en ont besoin.

Du 6 au 9 février aux pavillons Marie-Victorin, Marguerite d’Youville et André-Aisenstadt www.cscp.umontreal.ca/activiteprevention/capsule_suicide.htm

 

Pour ne pas perdre le fil

• centre de santé et de consultation psychologique de l’udeM 514-343-6452

• Ligne d’écoute pour les suicidaires 1-866-APPELLE (277-3553)

• suicide action Montréal 514-723-4000

 

Émilie Boulanger-Lewandowski

 

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