La calculatrice

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Par Charles-Albert Morin
jeudi 27 février 2014
La calculatrice
(Crédit photo: flickr.com/eye/see)
(Crédit photo: flickr.com/eye/see)

L’été dernier, trois économistes américains de la Réserve fédérale de la banque de Dallas ont tenté de chiffrer les pertes économiques qu’avait provoquées la crise financière de 2008. D’après leurs estimations les plus conservatrices, la crise aurait coûté entre 20 000 $ et 120 000 $ à chaque américain, même à ceux en couche. L’exercice auquel ils se sont livrés permet de mesurer concrètement comment le cataclysme qui fêtait ses cinq ans l’automne dernier a affecté la vie des gens. Ces chiffres devraient nous rappeler l’importance de prévenir une prochaine crise et de s’indigner des échecs qu’ont connus les gouvernements européens et américains dans leurs tentatives de réglementer le secteur bancaire.

Au risque de répéter ce qu’on dit dans les tous les cours donnés par toutes les facultés de toutes les universités du monde, nous sommes aux prises avec des problèmes de plus en plus complexes. S’attaquer au réchauffement climatique, par exemple, demande aux chefs de gouvernement de se coordonner, de se concerter, de penser à long terme. S’attaquer à des problèmes de ce type demande qu’ils se lancent dans des batailles dont les résultats ne seront assurément mesurés qu’à long terme. D’où l’impasse.

 

Besoin de chiffres

De l’initiative des trois économistes, on doit retenir que c’est lorsqu’on arrive à chiffrer le coût des choses qu’on peut en apprécier la pleine valeur. On peut déplorer le fait que cette « vision comptable » ait pris le dessus dans les grands débats de société, qu’on nous impose de mesurer la valeur de toute chose en chiffres. Quel prix doit-on donner à la sauvegarde des espèces, au cinéma d’auteur québécois, à des formations universitaires qui n’offrent pas de débouchés directs? Embêtant.

N’empêche, on aura beau expliquer l’importance d’un film qui gagne des trophées à Cannes, à Berlin ou à Locarno, il faudra encore démontrer que ce cinéma fait vivre des techniciens et des régisseurs de plateau. On aura beau affirmer que le réchauffement climatique détruit la biodiversité, endommage des hectares de forêt amazonienne, on devra démontrer que les stations de ski risquent de déclarer faillite si nos hivers continuent de perdre la boule.

 

Et les universités, là-dedans?

La contribution des universitaires à la société ne se comptabilise pas comme les recettes engrangées par un blockbuster durant une fin de semaine. L’acquisition de connaissances, qu’ossa donne? entend-on.

Dans le débat sur le rôle que doivent jouer les universitaires et les intellectuels dans la société, on néglige souvent le fait que les problèmes complexes auxquels nous sommes confrontés demandent de la réflexion, du recul, de l’expertise. C’est précisément ce que les étudiants viennent chercher sur les bancs des universités.

Devrait-on souligner à grands traits que les problèmes liés à la criminalité, à la maladie mentale, aux difficultés d’intégration des immigrants ont tous des impacts économiques importants ? Devrait-on rappeler que l’avancement des connaissances, aussi abstraites soient-elles, finit tôt ou tard par se mesurer en chiffres? Il est parfois invraisemblable de devoir justifier la valeur des choses avec une calculatrice. Seulement, les chiffres semblent encore être la seule langue parlée par tous les êtres humains.