Je veux être un poulpe (de nouveau)

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Par Patrick MacIntyre
mercredi 2 septembre 2015
Je veux être un poulpe (de nouveau)

Y’a pas à dire : l’ère des jeunes pousses de la génération Y, c’était la belle vie. Un héros de dessin animé qui vit chaque matin à la télévision une aventure folle dans une contrée féérique, c’est quand même plus engageant qu’un présentateur de nouvelles aux yeux de panda vous racontant la nouvelle histoire bien trash du jour. « Bon matin et bonne rentrée chers téléspectateurs ! Aujourd’hui, n’oubliez surtout pas que vous vivez dans un monde ultraviolent où l’être humain est capable du meilleur comme du pire, mais surtout du pire… Voici une histoire atroce qui s’est déroulée cette nuit, pour accompagner votre café matinal ! »

Ça s’est passé à un moment précis, je n’ai pas dû faire attention, et puis bim ! Je suis passée des matins chocolat chaud et bouclage de cartable aux réveils caféinés/connectés/stressés sans même le réaliser. Finies les journées d’insouciance où tout était possible, et où le mot « responsabilité » n’évoquait rien à la gamine de 10 ans que j’étais. Pas plus que les termes « dettes », « prêts », « bourses », et « petits boulots ».

Un jour donc, mon univers a basculé sans même que je m’en aperçoive. Mais quand ? Je l’ai maintenant compris. Et ce, depuis cette semaine de rentrée : très exactement au moment où mon vieux stylo à bille « Université de Montréal » a rendu l’âme. Le problème : je n’ai plus les doigts bleus. Le problème : l’éradication du stylo-plume.

La fin des doigts bleus, le début du sang d’encre. Ma génération « stylo-plume » était à l’époque bien armée pour éviter de sombrer. Nos munitions, étant gamins, c’était nos cartouches d’encre, une possibilité infinie de récits fantastiques, et aussi l’effaceur magique, qui permettait à chaque fois de les réinventer. Telles de petites pieuvres, nous crachions notre encre à coups d’histoires incroyables pour éloigner le panda angoissant, celui qui semblait hypnotiser nos parents avec son effroyable rengaine.

Et puis, il y a eu le stylo à bille. La peur des ratures, et l’obligation de ne pas se tromper.

Aujourd’hui, après l’hypnose matinale du panda, il y a cette rentrée, la routine métro/études/boulot/dodo, et rebelote les prêts et bourses, les frais en tous genres. Puisque le stylo à bille – qui avait l’avantage de ne pas être onéreux – ne permet pas de se connecter à StudiUM, ces dépenses devront parfois inclure l’achat d’un ordinateur.

Et si cette année, au lieu de voir dans un amphithéâtre une cinquantaine d’étudiants rivés sur leurs écrans, congelés sur leur siège (tenue légère + canicule extérieure + climatisation trop forte = le regret de ne pas avoir emmené son manteau d’hiver), les professeurs de l’UdeM assistaient à un spectacle bien différent ?

Quartier Libre se ferait approcher par l’un d’entre eux, complètement déboussolé et souhaitant témoigner : ses étudiants ont les doigts bleus ! Ils écrivent leurs notes au stylo-plume, ils osent se tromper, ils utilisent un effaceur et non la touche Suppr! « C’est comme s’ils avaient décidé d’entreprendre une rentrée différente, comme s’ils avaient voulu briser les codes! »

Un autre professeur raconterait au journal avoir vu ces mêmes étudiants cueillir leurs salades sur le chantier du futur Campus Outremont, pour se préparer des lunchs à moindre coût (p. 10).

Une jeune étudiante viendrait nous parler de sa nouvelle amitié avec une autre étudiante de son programme, âgée de 55 ans (p.13) ; un nouvel arrivant nous raconterait comment il a échangé plusieurs de ses vinyles contre des manuels scolaires pour ne pas trop dépenser en cette rentrée (p.14). Un autre nous expliquerait pourquoi contrairement à de nombreux camarades, il a décidé de se passer des banques pour financer ses études (p.15).

Et si tout cela était réel ? Une rentrée bien différente, vue sous d’autres perspectives, semble effectivement s’amorcer. Et ce numéro de Quartier Libre en fait foi. Un automne marqué par des élections fédérales peut, qui plus est, être synonyme d’un véritable renouveau. Tout du moins, il amènera les étudiants à se poser davantage de questions sur la société qu’ils souhaitent construire.

Pourquoi ne pas voir en ce stylo-plume symbolique le gage d’un retour aux sources, comme une voix rassurante qui nous souffle à l’oreille : « Tout ira bien, écris la rentrée que tu souhaites, avec moi tous les scénarios sont permis! Mais surtout essaie-toi, et tu verras ! » ?

Note : je n’ai pas d’actions dans une quelconque compagnie de stylo-plumes.