Hommage au temple de la pornographie

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Par Audrey Gagnon-Blackburn
mardi 22 février 2011
Hommage au temple de la pornographie

Au coin de la Main et de Duluth s’érige une véritable institution de la grivoiserie, temple du porno et des plaisirs charnels. Tout bon Montréalais connaît son nom, est déjà passé devant la fameuse affiche jaune et rouge et a eu la curiosité d’y entrer, « juste pour voir ». Le Cinéma L’Amour offre depuis maintenant trente ans ses services à titre de cinéma officiel du sexe, seul et unique lieu du genre dans la métropole. Portrait érotique d’une aventure affriolante.

Depuis 1969, le Cinéma l’Amour, c’est deux films pornos, trois fois par jour, sept jours sur sept. Derrière les énormes portes rouges battantes capitonnées : une salle de quatre cents places où sont projetés sur grand écran les ébats sexuels d’éco- lières en chaleur ou encore les mésaventures de mauvaises filles se faisant donner la leçon par quelque viril représentant de la loi. Au bal- con, une section VIP réservée pour les couples a été instaurée il y a une dizaine d’années, afin de profiter de l’expérience dans une plus grande intimité. Le mythe de l’endroit tourne surtout autour de l’interdit, du voyeurisme, du privilège de partager avec d’autres son plaisir solitaire.

Comme l’explique Steve, l’administrateur de l’endroit, «Ici, il n’y a pas de tabous. Ce que je ne vois pas, du moment que c’est discret, on peut le tolérer. C’est ça qui excite les gens. » Et au-delà de l’excitation provoquée par le film, il y a l’excitation qui naît de l’interactivité et de la conscience très vive de se savoir entouré de gens qui se cares- sent et qui s’émoustillent devant le contenu hautement érotique des images. Le Cinéma L’Amour offre la possibilité de vivre publiquement sa sexualité, ce qu’on ne peut retrou- ver ailleurs. « Il y a vingt ou trente ans, nous étions le seul endroit où l’on pouvait voir du hardcore. Mais maintenant, les gens vien- nent plutôt pour l’ambiance, l’interaction sociale. Le côté voyeur et exhibitionniste excite beaucoup », raconte le propriétaire. Une salle de cinéma qui perdure à travers le temps parce que jouir devant un écran d’ordinateur ou de télévision, c’est quand même moins sexy que dans un lieu qui fait partie du « patrimoine » montréalais.

Veni vidi vici

« Je suis venu, j’ai vu, j’ai vaincu », comme le dit le célèbre proverbe de Jules César. C’est un peu le sentiment qu’une journaliste courageuse vit lors d’une visite au Cinéma L’Amour. Tout de suite en entrant, je me sens épiée par les passants ; jugée du regard par les hommes en complet qui travaillent sur Saint-Laurent. Il faut dire que mon aventure s’est déroulée un mercredi matin, moment de la journée plutôt propice aux jugements. L’entrée du cinéma est tout ce qu’il y a de plus classique (outre les murs tapissés d’images érotiques et l’ambiance sonore fortement dominée par les cris de jouissance et les « Hit me harder » et autres « Do you like that, bitch ? »). J’essaie de m’y aventurer sans préjugés, mais, quand je me fais accueillir au comptoir par une pulpeuse Asiatique, le mot cliché clignote en rouge au-dessus de sa tête.

Le film à l’affiche ce matin, Slut Puppies 3 – Part 2. Bien qu’un peu brusquée par ces femmes qui semblent exploser de jouissance derrière les portes de la salle, je me risque et pénètre (c’est le cas de le dire) dans l’antre du sexe. Quelques fidèles se partagent la salle de manière somme toute assez silencieuse. L’endroit est propre, contrairement à l’idée préconçue. Je m’installe à l’arrière, hésitante. Je regarde sans regarder, je tente de saisir l’ambiance, de trouver en moi le côté exhibitionniste ou voyeur. Je n’ose pas trop m’immiscer dans l’intimité des gens, quoique ce soit un peu ce que je devrais faire si je veux vraiment vivre l’« expérience » Cinéma L’Amour. Après quelques minutes à me concentrer sur l’atmosphère du lieu, je constate que certains gémissements proviennent de la salle, et non du film. Malaise. Je sors de la salle après seulement quinze minutes. Je n’ai pas l’audace de rester jusqu’à la fin.

Je suis donc venue , au sens propre du mot, au Cinéma L’Amour, j’y ai vu — et entendu — de la porno et j’ai vaincu — du meilleur que j’ai pu — quelques-uns de mes préjugés et tabous. Ave, ô projection publique de films érotiques !

Marquer le coup

« Vous n’allez pas pleurer, mais apportez vos mouchoirs », « Un film superficiel, mais profond». En apprenant que la célèbre agence de publicité montréalaise Bleu Blanc Rouge (BBR) avait souligné l’épopée du Cinéma l’Amour par une campagne publicitaire ornée de slogans au lyrisme affriolant, l’envie de découvrir l’origine de cette aventure marketing nous est apparue en gras. Vous ne trouverez malheureusement les affiches ni sur le bord de l’autoroute ni sur la page arrière de votre magazine préféré. Deux affiches seulement sont disponibles pour le plaisir des yeux et de la rate, au Cinéma et sur le site d’Infopresse. « Nous n’avons pas eu de demande pour faire les affiches, mais j’habite en face de la salle et en passant souvent devant je me suis dit qu’il fal- lait absolument faire quelque chose de plus que les affiches à l’entrée pour promouvoir le Cinéma», explique Guillaume Blanchet, concepteur/rédacteur chez BBR à l’origine des slogans. « On a fait ça pour triper. Le Cinéma l’Amour, c’est comme le Schwartz, c’est un emblème à Montréal », renchérit-il. (Vanessa Gauvin-brodeur)

L’envers du décor

L’Asiatique de la réception a beau être pulpeuse, son quotidien est loin de s’apparenter à ce que l’on pourrait attendre d’une réceptionniste de cinéma érotique. Elle n’accueille pas les clients en bustier et porte-jarretelles. Elle a des fiches de temps à remplir, des comptes à calculer et des commandes à passer. Même si les portes du cinéma sont placardées d’affiches arborant poitrines généreuses et lèvres reluisantes, cette institution est d’abord une entreprise familiale qui bat de l’aile. « Les véritables propriétaires sont mes parents, j’ai repris l’entreprise mais il est certain que mon fils ne mettra jamais les pieds ici» affirme Steve, l’actuel propriétaire du bâtiment. « Si nous avions un loyer à payer, nous aurions fermé boutique depuis longtemps, d’autant plus que la ville calcule maintenant notre loyer au pied carré, ce qu’elle ne faisait pas auparavant» ajoute-t-il, presque désespéré. L’administrateur, qui préfère taire son nom de famille, a les   bleus : la clientèle se fait rare, la gent féminine est quasi inexistante et le personnel doit parfois gérer quelques clients problématiques qui prennent son établissement pour un antre de la débauche. « Nous avions des files d’attentes à l’entrée auparavant», se souvient-il, nostalgique. (Vanessa Gauvin-brodeur)