Volume 20

Harvard à portée de clics gratuitement

Suivre un cours donné par un professeur de Harvard ou de Stanford gratuitement et de n’importe où dans le monde, c’est désormais possible grâce aux Cours en ligne ouverts et massifs (CLOM). Le point sur une nouvelle tendance qui ambitionne de révolutionner l’enseignement supérieur .

Tristan Labelle, étudiant en informatique à McGill, en est à son quatrième cours pris par le biais de la plateforme d’éducation en ligne, Coursera. « Le programme que je suis à l’université n’offre pas certains cours qui m’intéressaient, alors je me suis inscrit à des CLOM pour compléter ma formation», explique-t-il. Il considère que son expérience en vaut la peine, même si la qualité des cours varie. C’est aussi le cas de Corinne Havard, étudiante en études internationales à l’UdeM. Voulant s’initier à la programmation, elle suit actuellement un cours d’informatique sur Coursera. « Je trouve le cours très accessible. Si jamais je ne comprends pas, je peux revenir en arrière sur la vidéo », approuve-t-elle. Elle est tellement contente des CLOM qu’elle a décidé d’en suivre un sur l’investissement au printemps 2013.

Engouement

Plus de 1,6 million d’étudiants sont actuellement inscrits sur Coursera, qui n’existe que depuis six mois. Créé par deux professeurs d’informatique de l’Université de Stanford, Coursera propose près de 200 CLOM qui sont le résultat de partenariats noués avec 33 universités, dont celles de Princeton et de Stanford. Le président de cette dernière, John Hennessy, a d’ailleurs parlé des CLOM en disant qu’ils constituaient un «tsunami». Coursera n’est pas la seule plateforme à proposer ce nouveau type de cours. Ses deux concurrentes les plus connues sont Udacity et edX. Cette dernière regroupe le MIT, Harvard et l’Université de Berkeley. Comme Coursera, Udacity et edX ont vu le jour en 2012.

Les CLOM ont donc la particularité d’être totalement ouverts, puisqu’aucuns frais de scolarité ne sont exigés. Pas besoin non plus de diplôme. Chacun peut suivre le cours au moment voulu. Ils sont également dits massifs, car un nombre considérable d’étudiants peuvent les suivre en même temps. En octobre 2011, ils étaient par exemple 160 000 à s’inscrire au cours d’intelligence artificielle offert par le professeur de Stanford et fondateur de Udacity, Sebastian Thrun, et le directeur de recherche chez Google, Peter Norvig.

Pour enseigner à un nombre aussi élevé d’étudiants sans qu’ils ne dépensent un dollar, l’enseignement est en grande partie automatisé. Le cours est proposé sous forme de lectures ou de vidéos que les personnes peuvent étudier au moment de la semaine qui leur convient, et l’évaluation se fait soit sous forme de questionnaires corrigés par ordinateur ou de devoirs évalués par un autre étudiant du cours. Des groupes de discussion en ligne où les étudiants peuvent s’aider mutuellement viennent compléter le dispositif. Par contre, la grande taille des groupes ne rend pas toujours possible l’échange systématique de courriels entre les étudiants et le professeur. Si des certificats sont livrés en cas de réussite aux cours, ceux-ci ne sont pas crédités.

Avenir en question

Les CLOM apparaissent en effet comme une solution prometteuse pour former à bas coût des millions de personnes à l’heure où le problème de l’endettement touche un nombre croissant d’étudiants et où les besoins en formation augmentent, notamment dans les pays émergents.

Toutefois, ces cours en ligne justifient-ils leur popularité actuelle ? Non, répond le conseiller en formation à distance et en apprentissage en ligne, Tony Bates. Il ne comprend pas tout le battage fait autour des CLOM. «J’ai pris un cours sur l’intelligence artificielle, raconte M. Bates. J’ai arrêté après la première leçon, car c’était incompréhensible. Je crois que les CLOM sont plutôt faits pour des gens qui s’y connaissent déjà sur le sujet et qui sont extrêmement motivés.» Une minorité d’étudiants complètent les CLOM. Sur les 160000 inscrits au cours sur intelligence artificielle, seuls 40000 sont allés jusqu’au bout. Celui qui a été directeur de l’enseignement à distance du département de formation continue de l’Université de Colombie-Britannique ne remet pas en cause la qualité du contenu offert, mais plutôt la pédagogie. «L’encadrement n’est pas suffisamment fort et les CLOM n’encouragent pas le développement d’un esprit critique », déplore M. Bates.

 Même son de cloche du côté de Dave Cormier, responsable des communications web et de l’innovation à l’Université de l’Île-du-PrinceÉdouard, qui pense que ces cours sont trop centrés sur l’acquisition de connaissances précises et non de savoir-faire. « Je trouve les CLOM merveilleux, mais on pourrait faire mieux», résume celui qui a été un pionnier des CLOM au milieu des années 2000. Il est d’ailleurs l’inventeur de l’acronyme MOOC, pour Massive Open Online Course, qui a été traduit par CLOM en français. Il souhaite voir les CLOM revenir à l’approche connectiviste qui était la leur au début et qui implique que le contenu du cours ne soit pas uniquement développé par le professeur, mais également par les étudiants selon un mode de travail collaboratif. «Les CLOM tels qu’ils existent aujourd’hui sont basés sur le fait que c’est l’instructeur qui transmet le savoir. C’est un concept qui ne correspond plus au monde actuel», analyse-t-il.

Que ce soit dans les journaux ou sur internet, les avis divergent quant à l’avenir des CLOM. M. Bates est sceptique quant à la possibilité que les CLOM fassent disparaître l’université traditionnelle. «Les CLOM ne constitueront une menace pour tout le système que le jour où le niveau du cours du MIT offert sur edX atteindra celui du cours donné au MIT et qu’il sera crédité», croit-il. D’autres, comme M. Cormier, pensent que le phénomène des CLOM ne fait que commencer. « Coursera [financée pour l’instant par des investisseurs] peut tenir 10 ans sans revenus», estime celui qui pense que la plateforme deviendra aussi importante qu’Amazon .

 

De la poésie aux statistiques

Tous les CLOM offerts actuellement par Udacity et edX portent sur des sujets scientifiques : programmation informatique, chimie, statistiques… Pour suivre des cours artistiques, de sciences humaines ou économiques, il faut se tourner vers Coursera qui propose des cours en éducation, en design, en poésie, en planification financière ou encore en argumentation. Les CLOM durent en général de 5 à 12 semaines. Pour en bénéficier, il faut maîtriser la langue de Shakespeare. Le cours Introduction à la programmation objet délivré sur Coursera par l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, en Suisse, est le seul CLOM pour le moment disponible en français.

Partager cet article