Gagner son public

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Par Michaele Perron-Langlais
mercredi 14 février 2018
Gagner son public
La volonté de Prince d’interdire la captation de vidéos lors de ses concerts a pu avoir un effet sur son succès commercial, selon le professeur Danilo Dantas. (Photo : Flickr | Scott Penner)
La volonté de Prince d’interdire la captation de vidéos lors de ses concerts a pu avoir un effet sur son succès commercial, selon le professeur Danilo Dantas. (Photo : Flickr | Scott Penner)
Au-delà de son œuvre, un artiste peut séduire son public de plusieurs façons. Quartier Libre a discuté des facteurs influençant le succès d’un artiste avec le professeur de marketing à HEC Montréal Danilo Dantas, qui s’intéresse à la musique en tant que produit de consommation.

 Quartier Libre : Quels sont les moyens dont disposent les artistes pour rejoindre leur public ?

Danilo Dantas : Les chemins ne sont pas uniques. L’artiste peut vendre sa musique directement. Il va avoir son site Web, sa page Facebook, un compte Instagram, un compte Twitter. Il va lui-même contacter les gens et échanger avec ses fans et ses fans potentiels. Il existe également des outils comme Spotify, Soundcloud ou Bandcamp*. L’artiste peut aussi avoir un lien plus indirect avec son public, c’est-à-dire en passant par une maison de disques, qui va contrôler tous les canaux de distribution et de communication. Il y a des cas, bien évidemment, où même si un artiste signe un contrat avec une maison de disques, il va contrôler certains canaux de communication. C’est lui qui va écrire directement sur Twitter, sur Facebook, qui va répondre aux commentaires. Il y a donc des modèles mixtes.

Q. L. : De quelle façon la personnalité d’un artiste peut-elle influencer son succès ?

D. D. : Tout ce que l’artiste fait va avoir un impact sur sa carrière, que ce soit sur scène, dans un studio d’enregistrement ou dans sa vie privée. Ça va au-delà de sa personnalité. Son comportement et la manière dont il choisit de communiquer ont des conséquences. Prince était un control freak. Il interdisait tout ce qui était téléphone cellulaire ou appareil qu’on pouvait utiliser pour filmer ses concerts. C’était presque impossible de trouver des vidéos de ses prestations scéniques sur YouTube. Ce genre d’interdiction crée un certain effet chez les consommateurs. Certains vont apprécier, d’autres vont moins aimer, mais ce n’est pas simplement son talent musical qui joue sur sa performance d’un point de vue commercial. Ce n’est pas exclusif à la musique C’est le caractère public de la fonction de la personne qui importe.

Q. L. : À quel point les facteurs extérieurs à l’œuvre peuvent-ils être déterminants ?

D. D. : La première condition, c’est d’avoir un talent reconnu par un segment de marché. Si tu prends quelqu’un qui n’a aucun talent, il peut avoir le meilleur comportement, la meilleure personnalité, il ne va pas réussir. Au bout d’un moment, ce sera fini pour lui s’il n’a pas un produit à offrir. On pourrait s’attarder à discuter pour savoir si Justin Bieber est bon. Oui, il est bon pour un segment de la population. Ensuite, pour que ce segment de la population, ouverte à ce genre de proposition musicale, continue de l’apprécier et soit ouverte à établir une relation avec cet artiste, à le suivre sur les réseaux sociaux et à aller voir ses concerts, il faut que son comportement hors scène soit en accord avec les valeurs et les opinions de ces gens-là. Je ne dirais pas que c’est plus ou moins important que la musique. L’aspect musical est un facteur de base. Sans celui-ci, l’artiste n’existe pas. Mais après, il faut pouvoir manier le tout. Souvent, c’est ce qui tourne autour de la musique qui va créer une différence par rapport à d’autres artistes.

Q. L. : Est-ce que la façon dont les produits culturels sont consommés peut influencer un artiste dans sa création ?

D. D. : C’est un choix artistique. Des groupes et des artistes ont évolué avec leur public et d’autres ont décidé de continuer à faire la même chose. AC/DC, c’est du sex, drug and rock’n’roll all the way. Le groupe n’a pas changé sa manière d’être. Ce n’est pas parce qu’aujourd’hui, tes actions en dehors de ta musique vont avoir une incidence sur la manière dont les gens vont te percevoir que tu vas changer la manière de produire ton art. C’est un choix de carrière, c’est du cas par cas. Il y a aussi l’aspect exécution. Si tu fais un changement, est-ce que tu le fais bien ? Ce n’est pas le simple fait de changer, c’est de bien le faire. Ou alors, si tu continues à faire ce que tu fais, est-ce que tu vas être crédible ? Quand tu regardes Mick Jagger sur scène, à 70 ans, est-ce qu’il est encore crédible ?

* Plateforme de distribution et magasin de musique en ligne.