Fumée au cerveau

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Par Enrique Colindres
mercredi 19 avril 2017
Fumée au cerveau
Une étude réalisée à l'UdeM démontrerait qu'une consommation de cannabis à un jeune âge peut notamment entraîner le décrochage scolaire. Crédit photo : Marie Isabelle Rochon.
Une étude réalisée à l'UdeM démontrerait qu'une consommation de cannabis à un jeune âge peut notamment entraîner le décrochage scolaire. Crédit photo : Marie Isabelle Rochon.
Alors que le gouvernement canadien vient de déposer un projet de loi pour légaliser la possession simple du cannabis, le débat sur ses effets s’intensifie. Pour mieux comprendre les enjeux, Quartier Libre s’est intéressé à une étude récente à l’UdeM. Elle démontre les impacts sur le cerveau des adolescents et l’incidence de cette substance sur le parcours universitaire.
« Le cannabis semble réduire l’anxiété à court terme chez certaines personnes, mais à long terme, son utilisation a surtout tendance à l’augmenter. »
Patricia Conrod, professeure titulaire au Département de psychiatrie.

«Depuis quelques années, il y a une théorie selon laquelle le développement du cerveau, surtout la région frontale, serait influencé par des substances comme le cannabis et l’alcool », explique la professeure adjointe à l’École de psychoéducation Natalie Castellanos Ryan. Selon une étude qu’elle a récemment menée à l’UdeM, les adolescents qui commencent à fumer dès l’âge de 14 ans obtiennent de moins bons résultats dans certains tests cognitifs et sont plus nombreux à abandonner leurs études.

L’étude de Mme Castellanos Ryan a été réalisée auprès de 294 garçons provenant de quartiers défavorisés à Montréal sur une période de sept ans (âgés de 13 à 20 ans). Elle a notamment démontré un lien convaincant entre l’utilisation de cette drogue et une perte de mémoire à court terme, même s’il est impossible d’écarter la possibilité que les sujets souffraient déjà de troubles de mémoire. Selon la chercheuse, l’étude a aussi souligné les effets à long terme du cannabis sur le QI verbal (la capacité à s’exprimer avec un vocabulaire varié à l’oral), tout comme la diminution de la capacité d’apprentissage par essais et erreurs.

« La première fois que j’ai fumé un joint, c’était à l’âge de 15 ans, raconte l’étudiant à la majeure en économie Justin2. C’était en soirée, juste pour essayer. Au premier contact, ça ne m’a pas vraiment plu. » Par la suite, l’étudiant n’a plus consommé de cannabis jusqu’à l’âge de 17 ans, où il a recommencé à en fumer lors de soirées entre amis. C’est aussi à cet âge qu’il a eu son premier contact avec la cigarette.

Selon la théorie de l’escalade, le tabac et l’alcool serviraient de passerelle vers des drogues comme le cannabis. « La raison pour laquelle cette théorie est si controversée est qu’il est très difficile de démontrer un rapport de causalité dans ce domaine, précise la professeure titulaire au Département de psychiatrie Patricia Conrod. Il y a tellement de facteurs de risques sous-jacents pour l’utilisation du cannabis et d’autres drogues. » D’après elle, le fait de commencer à fumer jeune, un historique de problèmes de santé mentale, une certaine impulsivité ou un désir d’expérimentation sont autant de facteurs pouvant rendre un individu susceptible de consommer du tabac, de l’alcool ou du cannabis. L’un ne sert pas forcément de tremplin vers les autres.

Motivé par un désir d’expérimentation, Justin voulait savoir si tout ce qui se disait au sujet du cannabis était vrai. Son contact avec cette drogue se limitait alors aux joints qu’on lui passait lors de soirées. « Ça m’a un peu fait voler, mais sans plus, dit-il. Je préférais l’alcool. »

Le rapprochement est d’ailleurs souvent fait entre l’alcool est le cannabis. « Ce que les recherches tendent à démontrer, c’est qu’autant l’alcool que le cannabis semblent avoir des effets neurotoxiques sur le cerveau, mais les effets ne semblent pas être exactement les mêmes en termes de développement cognitif », précise Mme Castellanos Ryan. La perte de mémoire à court terme et la diminution du Q.I. verbal évoqués précédemment sont deux effets qui sont propres à l’usage du cannabis.

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Fumer pour déstresser

Accepté à l’UdeM à l’automne 2014, Justin a commencé à consommer régulièrement du cannabis à partir de la session d’hiver 2015. « J’étais pas mal stressé, se remémore-t-il. J’avais beaucoup de difficultés à m’adapter au système universitaire. C’était tout nouveau pour moi et je trouvais ça compliqué. » Ce stress, combiné avec ses problèmes d’insomnie, l’a incité à fumer tous les soirs avant d’aller se coucher. « Le cannabis me permettait vraiment de déstresser, surtout quand je devais me lever tôt le lendemain », explique-t-il.

Selon la professeure Conrod, l’efficacité médicale du cannabis varie considérablement d’un individu à l’autre. « Le cannabis semble réduire l’anxiété à court terme chez certaines personnes, mais à long terme, son utilisation a surtout tendance à l’augmenter », explique-t-elle.

À l’automne 2015, la situation scolaire de Justin est devenue plus difficile alors qu’il suivait des cours encore plus exigeants. Pour gérer ses problèmes persistants d’anxiété et d’insomnie, il a alors commencé à fumer de deux à quatre joints par jour, dès le matin. « Je n’avais plus aucune motivation, se remémore-t-il. J’étais comme un légume à regarder la télé toute la journée. » Moins assidu dans ses études, Justin n’a pas réussi deux de ses cinq cours, des résultats qu’il attribue directement à sa consommation démesurée de cannabis. Il a vite compris qu’il devrait se reprendre en main s’il souhaitait poursuivre ses études. « J’ai pris conscience de la situation et j’ai pratiquement arrêté de fumer la session suivante », conclut-il.

L’étude de Mme Castellanos Ryan et l’expérience de Justin rappellent qu’une forte tendance à l’abandon des études est l’une des conséquences principales d’une exposition précoce et prolongée au cannabis. Un effet secondaire qu’il faudra surveiller à la suite de sa légalisation.

1. « Adolescent cannabis use, change in neurocognitive function, and high-school graduation : A longitudinal study from early adolescence to young adulthood », paru dans la revue Development and Psychopathology le 29 décembre 2016.

2. Le vrai nom de l’étudiant a été changé pour préserver son anonymat.

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