Femmes d’orchestre

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Par Claire-Marine Beha
mercredi 23 mars 2016
Femmes d’orchestre
Le festival Stella Musica vise à souligner le talent de musiciennes dans la foulée de la Journée internationale de la femme. Courtoisie Annette B. Woloshen
Le festival Stella Musica vise à souligner le talent de musiciennes dans la foulée de la Journée internationale de la femme. Courtoisie Annette B. Woloshen
Sur le podium, face aux musiciens, plus de chance de trouver un maestro qu’une maestra. Sur 46 orchestres professionnels canadiens, seuls quatre sont dirigés par des femmes*. À l’UdeM pourtant, les trois places au doctorat en direction d’orchestre sont occupées, pour la première fois, uniquement par des étudiantes.

Le concert Musique au féminin organisé par le festival Stella Musica a accueilli le 12 mars des musiciens de l’orchestre de l’UdeM sur la scène du théâtre Outremont, ainsi que les trois doctorantes de l’Université, Lori Antounian, Nadège Frances Foo Fat et Véronique Lussier. À l’occasion du mois des droits des femmes, il s’agit de les mettre de l’avant en montrant leur travail au public. « Lors de ma maîtrise, j’étais la seule femme au Conservatoire de musique de Montréal, indique Lori Antounian. Je subissais des moqueries, on ne m’encourageait pas et surtout, on ne me croyait pas capable de diriger un orchestre ! »

Établi en 2001, le doctorat en direction d’orchestre est très contingenté, puisqu’il accueille entre trois et cinq étudiants à la fois. « C’est la première fois que je vois trois femmes occuper les trois places du programme, souligne le chef d’orchestre et professeur des étudiantes au doctorat à l’UdeM, Jean-François Rivest. Nous sommes fiers de soutenir le fait féminin dans la musique classique et avons été les directeurs de thèse d’une dizaine de femmes chefs d’orchestre jusqu’à présent. »

Sélectionnées par M. Rivest et le professeur de la Faculté de musique à l’UdeM Paolo Bellomia, les étudiantes se sentent épaulées dans la réussite de leur doctorat et de leur carrière. « J’ai le sentiment d’être à ma place, affirme Véronique Lussier. Les femmes d’orchestre sont en émergence au Québec et nos professeurs travaillent avec rigueur pour nous permettre d’atteindre un haut niveau. »

Au Québec, le contexte actuel semble encourageant, à l’image de la chef assistante du maestro Kent Nagano de l’Orchestre symphonique de Montréal, Dina Gilbert. Elle a également complété son doctorat à l’UdeM en 2011 et, en début de carrière, occupe déjà un poste de renom. « Le jugement est encore plus critique à notre égard, mais on commence à brasser l’industrie de la musique classique petit à petit, indique Lori. C’est fou, mais on m’a déjà confié qu’une femme sur scène c’est distrayant et pas apte à jouer des morceaux plus caractériels. »

Une longue attente

L’arrivée des femmes en musique classique a été tardive. « Il a fallu attendre 1997 pour que le prestigieux Orchestre philarmonique de Vienne accueille une harpiste [NDLR : Anna Lelkes], précise le professeur de direction d’orchestre à l’Université McGill Alain Cazes. Et pendant très longtemps, les femmes étaient tout simplement bannies des orchestres européens. »

Les femmes américaines ont eu accès à la scène grâce à l’établissement d’auditions à l’aveugle à partir des années 1960. « Avec les auditions à l’aveugle, on a commencé à juger uniquement la qualité, le sexe n’était donc plus un problème », relève M. Rivest. Les États-Unis ont été les précurseurs de ce mécanisme ensuite adopté par tous les orchestres notoires. « Même l’orchestre de Berlin qui était constitué de vieux messieurs a engagé des jeunes et des femmes grâce à cela », ajoute-t-il.

Lori Antounian explique avoir néanmoins ressenti de la méfiance lors de plusieurs tournées à l’étranger. « À Buenos Aires, les musiciens étaient surpris de voir arriver une femme pour les diriger, confie-t-elle. On dirait que selon eux, on peut être musicienne ou chanteuse, mais pas chef d’orchestre. Cependant ce n’est pas propre à l’Amérique latine. En Arménie, par exemple, il n’y a qu’une seule chef d’orchestre. »

Pour M. Cazes, le sexisme qui subsiste provient d’un bouleversement profond de la figure d’autorité que doit incarner un chef d’orchestre. « Les chefs d’orchestre tyranniques ont longtemps été la norme, explique-t-il. Il s’agit à présent d’instituer quelque chose de différent et les femmes apportent avec elles ce changement nécessaire. »

Si les mentalités changent progressivement, la complémentarité et l’union des genres sont aujourd’hui prônées par la majorité des musiciens. « L’amour de la musique doit prédominer », confie M. Bellomia. Selon lui, à l’avenir, plus de femmes devraient avoir la possibilité de devenir chefs d’orchestre ou de chœur. « Les femmes sont en ce moment majoritaires dans les grands stages internationaux en direction d’orchestre », considère-t-il.

Le festival montréalais Stella Musica, cofondé par la pianiste et directrice artistique Katarzyna Musial présente des concerts composés majoritairement de femmes musiciennes et chefs d’orchestre afin de soutenir leur développement professionnel et de promouvoir l’égalité des genres dans les arts. L’ambassadrice du concept, Anne-Marie Trahan, a annoncé qu’une troisième édition est à prévoir pour l’an prochain.

*Selon l’organisme Orchestres Canada