Faire parler les affiches oubliées de l’après-guerre

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Par Romeo Mocafico
vendredi 2 novembre 2018
Faire parler les affiches oubliées de l'après-guerre
L’événement présente des affiches de 1919, 1920 et 1921, qui n’ont jamais été exposées auparavant. (Crédit photos : Romeo Mocafico)
L’événement présente des affiches de 1919, 1920 et 1921, qui n’ont jamais été exposées auparavant. (Crédit photos : Romeo Mocafico)
L’exposition 1919 : (Dés)ordre mondial, inaugurée la semaine dernière à la Bibliothèque des livres rares et collections spéciales (BLRCS), dévoile une sélection d’affiches rares datant du lendemain de la Première Guerre mondiale. En s’intéressant aux différents enjeux que soulève cette période, elle offre l’occasion de découvrir l’affiche comme outil de propagande et objet de médiation privilégié.

Le professeur au Département d’histoire de la Faculté des arts et des sciences Carl Bouchard a organisé les 19 et 20 octobre dernier le Colloque « 1919 : (Dés)ordre mondial ». L’événement a souligné les 100 ans de la fin du conflit et a abordé différentes problématiques de l’après-guerre. L’expert a profité de la vaste collection d’affiches de la BLSH pour monter l’exposition du même nom et présenter ces enjeux de manière plus visuelle.

2Elle est présentée à BLRCS, au 4e étage de la BLSH.

Origine : inconnue

Le bibliothécaire de la BLSH Thomas Mathieu a collaboré avec M. Bouchard pour mettre en place l’exposition. Pour lui et le reste des experts archivistes de la bibliothèque, l’origine de la large collection d’affiches de l’entre-deux-guerres exploitée pour 1919 : (Dés)ordre mondial reste un mystère.

« Honnêtement, on ne sait pas d’où proviennent ces affiches, avoue-t-il. Avec l’Université, on a fait quelques recherches sans succès pour savoir comment on (l’Université de Montréal) a pu mettre la main sur autant d’œuvres. On a même vérifié dans les archives pour savoir s’il y avait eu des compensations financières ou des lettres de remerciement aux donateurs, mais on n’a rien trouvé. » La question de l’origine des 26 illustrations qui composent l’exposition reste donc en suspens.

Paix, misère et reconstruction

La sélection est axée autour de quatre thèmes majeurs. « Le premier chapitre traite de la paix, indique M. Bouchard. Au terme de cette guerre, on a toute une réflexion sur la façon d’établir un nouvel ordre pacifique. » Pour le professeur, il est important de se pencher sur la question de la réconciliation d’États anciennement ennemis. « Comment faire pour réapprendre à vivre avec celui que l’on a combattu pendant des années?? s’interroge-t-il. C’est un des thèmes abordés. On a d’ailleurs placé les affiches montrant la difficulté liée à la réconciliation en parallèle de celles qui touchent au pacifisme et à la paix. »

Enjeu majeur de l’après-guerre, la question de la reconstruction est également évoquée. « Matériellement d’abord, parce que des zones entières sont détruites, mais on s’est surtout arrêté sur la reconstruction d’un point de vue social, poursuit-il. On a beaucoup d’affiches sur le retour des combattants et sur leurs difficultés de réinsertion. Après 1918, ce sont les premiers moments de l’effort humanitaire. »

L’Allemagne, au cœur du conflit, a fait l’objet d’une attention toute particulière lorsqu’il eut s’agit d’évoquer les redéfinitions territoriales. « De nombreuses affiches produites après la guerre contestaient le redécoupage du pays, observe l’expert en relations internationales. On a une véritable campagne qui s’est mise en place à travers l’affichage à ce moment-là. » Pour lui, l’affiche peut s’avérer un redoutable outil pour instaurer une politique de propagande.

« On avait de grands combats idéologiques à l’époque, déclare-t-il. Notamment idéologiques entre capitalistes et bolchéviques. » D’après lui, de nombreux historiens y voient les prémices de la Guerre froide. « On retrouve beaucoup d’affiches qui parlent de cette tension, poursuit-il. C’est surprenant, car elles sont extrêmement violentes visuellement. »

3L’exposition présente une sélection de 26 affiches.

 

4Elles sont issues de la collection de plus de 3?000 œuvres de la période de l’entre-deux-guerres de la BLRCS.

Afficher ses idées

Pour le professeur, la Première Guerre mondiale a permis un envahissement de l’affichage, secteur principalement privilégié par les commerciaux avant le conflit. « À cette époque, la guerre s’immisce partout et utilise tous les moyens mis à sa disposition, raconte-t-il. La réclame, très populaire au cours du 19e siècle, va alors devenir un objet de guerre. »

Elle s’est illustrée comme un moyen efficace de convertir et de pousser la population à endosser certains points de vue. M. Bouchard note que les affiches de l’époque se sont d’ailleurs peu à peu affranchies des textes. « On commençait à maîtriser les outils de propagande iconographique, note-t-il. Ce dont on avait besoin, c’était d’une image-choc et de quelques mots. On n’avait plus besoin d’avoir des textes qui duraient des pages entières. »

En maîtrisant ce média largement diffusé, les États ont d’après lui disposé d’un outil particulièrement efficace. « Après 1918, l’information était surtout diffusée par les journaux et les affiches, indique-t-il. On commençait juste à voir apparaître les actualités cinématographiques pendant la guerre, mais c’était encore très réduit. L’affiche restait le médium le plus efficace de l’époque. » Il note toutefois que l’affichage n’était pas aussi envahissant qu’aujourd’hui, même s’il s’agissait du moyen de diffusion privilégié de l’après-guerre.

5M. Bouchard utilise régulièrement les archives de la BLRCS dans son cours sur la Première Guerre mondiale.

6Elles seront exposées jusqu’au printemps 2019.

 

* Bibliothèque des livres rares et collections spéciales.