Volume 18

Extase contre métastases

Le traitement du cancer doit être repensé, affirme Christian Boukaram, professeur au Département de médecine de l’UdeM et radio-oncologue à l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont (HMR). Sa philosophie : associer le corps et l’esprit dans les thérapies. Elle est mise en oeuvre grâce à son fonds CROIRE, dont les activités démarrent doucement. Christian Boukaram a aussi publié le livre Le pouvoir anticancer des émotions pour expliquer ses méthodes. Radiographie d’une initiative médicale d’avant-garde.

Contre le cancer, il faut CROIRE : au premier plan, le Dr Michael Yassa et de gauche à droite, la Dre Maryse Bernard, la psychologue Clarisse Defer, le Dr Peter Vavassis et le Dr Boukaram. Crédit Pascal Dumont

« Les pensées, les émotions, la personnalité et l’ego sont des facteurs très importants à considérer dans l’apparition et la gravité du cancer », soutient le docteur Boukaram. Selon lui, il faut repenser notre vision du traitement de cette maladie. « Considérant que les taux de cancer n’ont jamais diminué, et ont peut-être même augmenté, il faut être réaliste et se demander pourquoi. Est-ce que les croyances sur lesquelles on s’appuie peuvent être modifiées ? », questionne-t-il. Il a donc pris le virage de la médecine dite « intégrative », qui associe le corps et l’esprit, la prévention et le traitement.

L’idée de l’interaction entre le corps et l’esprit est depuis longtemps présente dans la littérature scientifique. Les chercheurs se heurtaient pourtant à la difficulté de donner une base scientifique à cette relation. Les développements récents de l’épigénétique – la science qui étudie comment le contexte et l’histoire individuelle influent sur l’expression des gènes – ont jeté ce pont. L’épigénétique révèle que les gènes défectueux peuvent être activés, ou au contraire désactivés, par des facteurs environnementaux agissant comme des interrupteurs. « Récemment, on a découvert que l’adrénaline [induite par le stress] peut doubler, voire tripler la vitesse de propagation de cellules cancéreuses », illustre M. Boukaram. Autre exemple, une étude effectuée auprès de 10 000 femmes a démontré que celles qui vivaient un deuil non résolu doublaient leur risque de développer un cancer.

« Si l’on imagine le cancer comme une plante, explique M. Boukaram, l’oncologie intégrative s’intéresse aussi bien à la graine [les cellules cancéreuses] qu’au terrain dans lequel la plante pousse [le contexte social et environnemental de chaque individu]. Certains facteurs agissent comme un engrais, le régime alimentaire par exemple, qui favorise la croissance de la plante. » L’oncologie intégrative allie traitement traditionnel – chimiothérapie, radiothérapie – à thérapies complémentaires comme l’acupuncture, la musicothérapie ou le yoga. « Il est préférable d’aborder la santé avec une approche qui permet de soigner une personne sous toutes ses facettes », estime M. Boukaram. S’il vante les avantages des thérapies complémentaires, il nuance aussi leur portée. « Ces traitements agissent sur la capacité d’autoguérison du corps, ils peuvent favoriser les traitements. Mais dans les traitements du cancer, on ne fait jamais de promesses », précise-t-il.

20 000 $ en dons

C’est dans le but d’instaurer cette vision intégrative de l’oncologie à l’HMR que le docteur Boukaram a cofondé le fonds CROIRE il y a un an avec deux de ses collègues, les docteurs Peter Vavassis et Michael Yassa. En quelques mois, les caisses du fonds CROIRE ont atteint environ 20 000 $. Une somme encore modeste en regard des sept millions de dollars récoltés en 2011 par la Fondation de l’HMR. Cela reste insuffisant, selon M. Boukaram. « Nous sommes très limités, nous n’avons pas de ressources. Pour l’instant, le fonds fonctionne grâce aux dons du public, mais il faudrait que le gouvernement emboîte le pas », déplore-t-il.

En attendant, ce sont les radio-oncologues de l’HMR qui ont mis la main au portefeuille en donnant 10000 $ au fonds CROIRE. Le docteur Boukaram a publié son livre Le pouvoir anticancer des émotions et reverse au fonds la moitié des bénéfices issus de la vente (voir encadré).

Le comité administratif de CROIRE se réunira ce mois-ci pour décider des nouveaux projets à mettre en place et organiser une collecte de fonds. Les organisateurs ne sont pas en manque d’idées. « Il faudra prioriser », conclut le docteur Boukaram.

Un îlot de sérénité

La beauté fait partie du traitement. Le service de radio-oncologie de l’Hôpital Maisonneuve-Rosemont a des allures de galerie d’art. Crédit Pascal Dumont
Crédit Pascal Dumont

Clarisse Defer, psychologue à l’HMR, donne bénévolement des ateliers de relaxation et d’autohypnose dans le cadre de CROIRE et du programme d’oncologie de l’HMR. Le but est d’amener les patients à un état de bien-être de manière autonome. « Les patients sont actifs dans leur traitement, ça leur donne le pouvoir de s’apaiser, explique-t-elle. Certains patients ne suivraient pas leurs traitements médicaux s’il n’y avait pas cet accompagnement, par manque de motivation ou par peur. La condition psychologique peut être un obstacle à la poursuite des traitements recommandés, qui sont des traitements lourds. »

Dans une salle de réunion de radio-oncologie, Mme Defer accueille une fois par semaine la quinzaine de patients inscrits aux ateliers, qui durent un mois. En guise d’introduction, Mme Defer propose aux patients des exercices simples de relaxation, prendre conscience de leur respiration ou visualiser leurs tensions musculaires, par exemple. Certains connaissent déjà bien le sujet. Pour d’autres, ce sont les gestes de base qu’il faut réapprendre, comme pour cette dame qui confie ne pas respirer suffisamment. Voilà tout l’intérêt du travail de groupe, estime Clarisse Defer, qui croit que le partage des expériences est un processus important pour les patients, parfois isolés.

Tout comme le docteur Boukaram, Clarisse Defer nuance les résultats de ces séances et prévient qu’il n’y a pas de solutions miracles. Il s’agit simplement d’atteindre un sentiment de bien-être, même momentané. Une vision que partage Pierre Roy, un patient qui attribue son cancer en grande partie à sa personnalité stressée. Chaque matin, il pratique la méditation pendant une demi-heure. « Dans la maladie, on est souvent mal outillé face au stress. Avec de meilleurs réflexes, on peut retarder l’échéance, et ce temps gagné est du bon temps », estime Pierre Roy, qui se décrit dorénavant comme serein face à son cancer. « Il faut accepter la maladie, la combattre, mais surtout faire des choses pour soi, pour pouvoir dire qu’on est bien avec soi-même », explique-t-il. Et c’est bien là l’intention du docteur Boukaram.

 

Un nouveau chapitre dans le traitement du cancer

Dans son livre Le pouvoir anticancer des émotions, le docteur Christian Boukaram aborde l’influence des émotions sur le développement du cancer. « Galien, un médecin grec, rapporte un lien entre les émotions et le cancer du sein dans son manuscrit sur la dépression. Socrate dit même qu’ignorer ce lien serait faillir à son rôle de médecin », écrit-il à propos de cette ancienne théorie à laquelle on a trouvé depuis des fondements scientifiques.

« Il faut que les gens commencent à accorder plus d’importance à leurs émotions. C’est quelque chose qui nous habite, qui fait partie de nous », considère-t-il.

C’est par le biais de sujets tels que la spiritualité, nos sens trompeurs ou encore notre ego que le docteur Boukaram livre son message.

Christian Boukaram dresse un catalogue (non exhaustif) des émotions afin d’aider le lecteur à les identifier, et propose une série de thérapies et d’exercices pour mieux les gérer, comme l’art, le yoga ou plus simplement le rire.

Malgré les nombreuses études qui y sont citées, le livre du docteur Boukaram laissera sur leur faim les lecteurs à la recherche d’une solide argumentation scientifique.

Le pouvoir anticancer des émotions, Christian Boukaram, Éditions de l’Homme, 176 pages, disponible en version électronique

drboukaram.com/croire

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