Et telle est sa science

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Par Patrick MacIntyre
mercredi 11 novembre 2015
Et telle est sa science
« Allez, un grand sourire, dis « CHEESE », montre ta molécule, et CLIC ! C’est dans la poche mon vieux, en espérant que les gens s’intéressent enfin à ton travail ! »

Vous pensiez qu’il suffisait de piquer la curiosité du grand public avec des mots savants pour qu’ils se passionnent pour vos recherches ? Comme c’est mignon ! Il vous faudra davantage d’imagination, le sens de la formule et… un reflex dernier cri.

La curiosité est un leurre.

Du moins, bien souvent. L’égocentrisme, en revanche, est loin d’être une fiction. « Si demain quelqu’un découvre le remède contre le cancer, on n’aura pas besoin de rendre cette recherche esthétique », affirme le gagnant du concours La preuve par l’image organisé par l’Association francophone pour le savoir (Acfas) et postdoctorant en génie physique, David Rioux (p. 10). Nul besoin de vulgariser ici : la maladie est connue du grand public, et tout le monde peut se sentir directement ou indirectement concerné.

Vouloir INTÉRESSER le grand public à ses travaux implique de ne pas oublier le terme insidieux derrière le verbe prometteur : l’INTÉRÊT. Quel intérêt ai-je à lire des recherches sur la fabrication de nanoparticules utilisées dans l’imagerie médicale si je ne travaille pas dans ce milieu ?

En fait, il y en a mille, dont le fait d’acquérir des connaissances pour mieux comprendre le monde de science et de technologie qui m’entoure, de comprendre le travail des chercheurs, de savoir comment est utilisé l’argent dépensé pour la recherche et de me découvrir, qui sait, une vocation…

Ou bien, encore, de réaliser que les nanoparticules et moi, ça ne pouvait être qu’une aventure sans lendemain !

Cela ne me fera qu’admirer davantage l’ardeur des passionnés qui jouent un rôle majeur dans l’évolution de notre société. Dans tous les cas de figure, je ne ressortirai pas indemne de cette lecture.

Mais pour se sentir concerné et avoir envie de lire sur un sujet, il faut déjà comprendre ce dont on parle : la vulgarisation scientifique joue déjà à ce niveau un rôle essentiel. Ce qui est nouveau, actuellement, est d’entendre des chercheurs indiquer que l’habileté à rejoindre un public devrait faire partie de « la trousse à outils obligatoire d’un doctorant » (p. 11).

Les jeunes scientifiques semblent plus que jamais conscientisés quant à l’importance de divulguer leurs recherches en prenant de la distance avec leur jargon. Le succès du concours international Ma thèse en 180 secondes organisé par l’Acfas en est un exemple phare, de même que tous les concours de vulgarisation scientifique qui fleurissent au Québec.

On voit également apparaître aujourd’hui la possibilité de créer des images d’une qualité exceptionnelle pour « mettre en scène » son travail de recherche. Au-delà de la vulgarisation écrite, il faut maintenant rendre sa science attrayante visuellement afin que le citoyen bombardé d’informations ait une chance de la remarquer.

David Rioux est allé jusqu’à plonger des nanoparticules dans l’eau et les éclairer afin qu’elles produisent une couleur unique, ce qui donne un résultat assez splendide (voir photo p. 10). Si le fait de raconter une histoire avec sa science, de l’imager, de la rendre « sexy » en quelque sorte, ne constitue pas un effort assez important pour attirer l’attention, que peuvent bien faire les scientifiques ? Publier des articles sensationnalistes dans des revues ?

Les chercheurs ont fait le premier pas : et si nous sortions également de notre zone de confort, si nous luttions contre les préjugés de notre pensée pour explorer d’autres univers ?

La découverte précède l’intérêt, et non l’inverse.