Et si Gainsbourg était encore vivant ?

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Par Justin D. Freeman
mercredi 24 novembre 2010
Et si Gainsbourg était encore vivant ?

Né Lucien Ginsburg en 1928 et mort Serge Gainsbourg en 1991, « l’homme à tête de choux », Gainsbarre pour les intimes, n’a pas obtenu de son vivant la reconnaissance qu’il aurait méritée. Tout au plus a-t-il réussi à se construire l’image du poète maudit et d’alcoolique pervers qu’il est devenu par la force des choses. Rendons à Serge ce qui lui appartient, imaginons comment il aurait pu virer si on lui avait donné une vingtaine d’années de plus à vivre.

Pour rappel, les quatre derniers albums de Serge Gainsbourg ont balayé l’essentiel des possibilités musicales contemporaines. En s’essayant au reggae en 1979 (Aux armes et cætera) et en 1981 (Mauvaises nouvelles des étoiles), Gainsbarre prend un virage totalement nouveau. Aussi improbable que cela puisse paraître, ces deux disques ont été enregistrés avec les I Threes, Sly Dunbar et Robbie Shakespeare, musiciens ou choristes Jamaïcains de renommée, affiliés aux Wailers de Peter Tosh et de Bob Marley. Rien que ça !

En 1984 la musique électronique commence à se démocratiser et les icônes gaies naissantes (Madonna, Wham !, etc.) en usent et abusent dans la pop. Avec Love on the beat, un album électro aux fortes connotations homosexuelles, Serge franchit une nouvelle étape dans la provocation. Les paroles sont volontiers décadentes, graveleuses, voire pernicieuses. Les productions synthétiques pour leur part assurent une véritable ambiance de « boîte échangiste ». You’re under arrest sort en 1987 et s’inscrit dans le même état d’esprit. Serge signe un album-concept autour du « détournement de mineures » et s’oriente plus vers la funk… et le hip-hop : ce n’est peutêtre pas encore tout à fait assumé mais, les rythmiques s’en approchent très fortement. Même s’il est parfois un peu caricatural, ce dernier disque annonce toute la force créative qu’il reste à Gainsbarre.

1991 devait être l’année du blues, ce sera l’année de la mort. Rattrapé par ses excès, Serge Gainsbourg succombe des suites de son second arrêt cardiaque. Derrière lui une lignée d’enfants et d’ex-femmes plus ou moins talentueuse essaye de se tailler la part du lion. J’ai pourtant essayé de placer l’artiste sur l’échiquier musical de 2010 et voilà ce que j’ai déduit.

Serge ne pourrait plus vivre en France. Sa réputation et ses aspirations ne corresponderaient plus à l’Hexagone. New York comme lieu de résidence ? Serge aurait eu du mal avec l’anglais à long terme. Non, je pense très sérieusement que le génie aurait fini par venir s’échouer sur le Plateau. Qu’aurait-il trouvé à Montréal ? Sûrement pas de l’affection pour ses manières de Français archétypique, mais plutôt quelques bons artistes avec qui collaborer. Coeur de pirate tout d’abord, que l’on imaginera aisément en nouvelle muse du vieux dégueulasse (malgré les 61 ans de différence). Il lui écrirait des textes, elle les chanterait avec naïveté et espièglerie… bref, le parfait amour ! Pour le reste, on peut aisément imaginer un Gainsbarre s’éclatant sur la scène du Centre Bell aux côtés de Chromeo. Ces derniers font de l’électro-funk percutante avec talent et nonchalance : tout ce que Serge aurait adoré. D’ailleurs, leur nouvel album contient une pépite en français (« J’ai claqué la porte »), qui aurait probablement été sublimée par une écriture un peu plus pointue.