Es-tu accro ?

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Par Pascaline David
mardi 19 avril 2011
Es-tu accro ?

Personnellement, je le suis, et certains de mes amis aussi.

Mettez-moi un verre de scotch, une cigarette et un iPhone entre les mains. Me voilà (joyeusement) toute encombrée des trucs desquels j’ai de la difficulté à me passer.

L’alcoolisme léger semble être un fléau socialement accepté, généralement associé à un épicurisme assumé. Lors d’un souper ou d’une sortie entre amis, le fait de boire un coup ne dérange pas outre mesure le voisin de table, à condition de ne pas commencer à se rouler par terre et à proférer des insanités.

Tenter de fumer une clope lors d’un repas correspond à une autre paire de manches. Depuis que sont connus les effets secondaires causés par la fumée de cigarette, plusieurs quidams sont tentés de monter aux barricades dès que s’égare une bouffée d’acide cyanhydrique dans l’air. Jusqu’à peu, l’argumentaire des détracteurs de la nicotine tendait à tourner autour d’eux-mêmes. Ils étaient là, à dévisager le fumeur en s’éventant l’espace environnant de la main.

Heureusement, les moeurs ont évolué. Aujourd’hui, mes proches s’inquiètent de la fraîcheur de mes poumons à moi. Les ex-fumeurs rivalisent de créativité pour m’encourager à arrêter de fumer. Ils tapissent mon mur Facebook de vidéos de sensibilisation aux dangers de la cigarette. Ils envoient même des messages textes sur mon iPhone 4, l’eldorado de la communication tous azimuts. «Arrête de fumer, fumeuse, me dit-on. Tes poumons ne sont pas en stainless. » Cette façon de condamner la dépendance qui m’assaille me semble moins agressive qu’auparavant. Je ris, et je continue de fumer. Rien à battre, de ce que pensent les autres, dans la mesure où ils ne se sentent pas lésés dans leur liberté de santé.

Parlant de iPhone, cet instrument sans danger pour la santé physique crée une dépendance qui enflamme les passions lors de soupers en famille ou entre amis. Personnellement, en société, j’évite de manipuler ouvertement mon téléphone, surtout si je suis en présence d’individus âgés de plus de trente ans. De la même manière que je fume en retrait des non-fumeurs, je tends à m’isoler pour envoyer un message texte important, ou assurer un transfert de courriel, même si cela est lié à mon emploi. Tout de même, certains sont dérangés par cette façon de procéder.

Un certain vendredi, sur Facebook, un collègue me communique ceci : «Je suis tanné que la technologie évolue trop vite (et je n’ai pas 76 ans pour dire ça, comme tu peux t’en douter). […] Désolé, mais moi je ne comprends pas. J’ai à peine un cellulaire. On peut-tu, des fois, passer un souper au resto entre amis sans se pitonner en pleine face ? On peut-tu apprécier le moment?». J’entends souvent des commentaires similaires (un brin excédés).

«Je ne suis pas jaloux de ton téléphone, mais je pense que je suis jaloux de l’amour que tu portes à ton iPhone», m’a récemment affirmé un collègue envieux, rivé derrière l’écran de son ordinateur. J’ai souri, un peu à cause de lui, mais surtout parce que mon iPhone me signifiait au même moment que je recevais un courriel via Facebook de mon flirt du moment.

Impossible d’aborder le malaise créé par l’utilisation abusive de ces mini-ordinateurs sans évoquer la dépendance aux réseaux sociaux, Facebook en tête de liste, dont plusieurs personnes (un peu plus de 600 millions) sont présentement victimes à différents degrés.

Selon une étude récente du Centre francophone d’informatisation des organisations (CEFRIO), au Québec, 17 % des téléphones mobiles sont des téléphones intelligents. Aux États-Unis, le pourcentage était de 30 % en 2010. D’ici la fin de 2011, toujours chez nos voisins du sud, sans doute bientôt aussi dans la Belle Province, il devrait se situer au-dessus de 50 %.

Au Québec, 60 % des propriétaires de téléphones intelligents manipulent leur Précieux pour consulter des réseaux sociaux. En général, les propriétaires de téléphones intelligents utilisent davantage Facebook sur leur téléphone mobile que sur leur ordinateur, pour consulter l’information circulant sur la planète, et échanger des réflexions entre «vrai monde». «En Une de la revue La Semaine : Michèle Richard a perdu 14 livres. Ce qu’on appelle tuer la une, mais pas vraiment», expriment-ils par exemple sur leur statut, en direct du dépanneur d’à côté. Jumelé à un téléphone intelligent, Facebook offre l’opportunité de traîner son réseau d’amis élargi dans sa poche de jeans, et de permettre à ceux-ci de s’imaginer dans nos souliers. Voilà qui est distrayant.

Imaginez pour les enfants.

D’ici quelques années, presque tous les jeunes des pays développés possèderont au moins un téléphone cellulaire, plus probablement un téléphone intelligent. Un peu partout dans le monde, au Québec aussi, plusieurs enseignants développent même des stratégies éducatives en intégrant le téléphone intelligent et les réseaux sociaux, dans l’objectif de créer une communauté respectueuse et sécuritaire d’échange et de partage.

Selon Stowe Boyde, spécialiste américain des réseaux sociaux, à cause de Facebook, «publicy will replace privacy. Privacy will appear quaint, like wearing gloves and veils in church.» Sans grand éclat, la sphère publique s’élargit, envahit, prend de l’expansion (jusque dans nos soupers d’amis).

Tout cela rappelle que le train est bien parti, et qu’il n’est pas prêt de s’arrêter. A mon avis, cette colonisation technologique constitue davantage une bonne nouvelle qu’une faillite sociale. Combien de conflits ont été générés par une surdose de communication?

S’insurger contre l’utilisation du téléphone intelligent, c’est comme croire arriver à persuader un ami d’arrêter de fumer. C’est du grand n’importe quoi, qui repose sur une charmante naïveté. Apprécier le moment ? Oui, et pourquoi pas collectivement, même avec ceux qui ne sont pas là?

Ce numéro est le dernier de la session. Bonnes vacances. Si vous n’avez pas les moyens de voyager (vous avez dépensé toutes vos économies en bouteilles et paquets de cigarettes), n’oubliez que grâce aux téléphones intelligents, le monde est à votre portée.

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«Facebook est au magazine ce que Twitter est au quotidien.» – récent statut Facebook du collègue Charles Lecavalier.