Culture

Ensemble, mais seules

Des trapèzes lumineux sont projetés sur une scène dépouillée, elle-même en forme de grand trapèze délimité par des bandes lumineuses DEL mauves. « Les personnages sont emprisonnés à l’intérieur et ne peuvent en sortir, explique M. Sylvestre. Ça ajoute un effet d’enfermement. » Ce sont des mots qui reviennent souvent lorsqu’il décrit la pièce, sa troisième au TUM après L’aquarium en 2014 et Tu peux faire tout ce que tu veux en 2017.

« On n’échappe jamais aux règles et aux normes de la société dans laquelle on vit, précise-t-il. En voulant s’en extraire, on s’emprisonne soi-même et on n’est pas plus heureux. » Le diplômé en écriture dramatique de l’École nationale de théâtre du Canada, qui détient aussi un baccalauréat en criminologie de l’UdeM, mentionne toutefois qu’il déteste l’emploi du mot « message » pour décrire les prémisses de ses créations.

Une utopie illusoire

Au départ, deux adolescentes créent un forum féministe et féminin qu’elles occupent seules. Cet espace est représenté par un petit trapèze lumineux sur lequel elles prennent pied. Leur dialogue verbal est projeté sur le mur derrière elles, à la manière d’un fil d’actualité. Dès le moment où elles se décident à admettre d’autres participants dans cet espace, les dynamiques sociales malsaines qu’elles avaient tenté de fuir infiltrent peu à peu leur utopie virtuelle.

M. Sylvestre croit que le médium du théâtre est particulièrement approprié pour traiter du sujet de la vie virtuelle. « Après tout, on passe notre temps à se mettre en scène sur les réseaux sociaux, observe-t-il. On peut penser que le théâtre est un art vraiment poussiéreux et millénaire, mais j’ai fait le pari qu’on puisse encore l’utiliser pour communiquer des choses sur notre société actuelle et même sur les générations plus jeunes que nous. »

Dans sa direction d’acteurs, le metteur en scène a imposé un interdit absolu à sa troupe. « La seule chose qu’ils n’ont pas le droit de faire est de se toucher, informe-t-il. C’est pour nous rappeler que ces jeunes-là ne partagent pas vraiment un espace, mais qu’ils sont chacun chez soi devant leur ordi. On a seulement accès à des retransmissions. » Le seul accessoire sur scène est un téléphone cellulaire, utilisé pour filmer les acteurs et projeter leur image sur le mur du fond. « Je voulais avoir zéro truc physique sur scène, ajoute-t-il. C’est vraiment comme si les jeunes étaient immergés dans cette plateforme virtuelle. »

Devant l’écran, la solitude

L’étudiante à la maîtrise en ergothérapie Camille Rioux interprète le rôle d’Eurydice, l’un des personnages clés de la pièce. « Le thème principal de la pièce est la solitude, affirme-t-elle. Les personnages se sentent rejetés par le monde extérieur. Elles se retrouvent donc seules devant un écran, dans leur chambre. » Elle ajoute que la projection murale confère une permanence aux interactions du groupe. « Les propos tenus vont y rester et les images échangées aussi, exactement comme les réseaux sociaux, qui nous rappellent parfois des évènements qu’on a oubliés depuis longtemps », détaille-t-elle.

Selon le coordonnateur des arts de la scène du Service des activités culturelles (SAC), Dominic Poulin, cette proposition de M. Sylvestre a représenté, aux yeux du comité de sélection, une valeur sûre, tant pour les interprètes que pour le public étudiant. « Puisqu’on a déjà collaboré avec lui, on sait comment il travaille et on connaît l’appréciation des étudiants qui ont déjà participé à l’une de ses pièces, explique-t-il. Olivier arrive avec son propre texte, donc c’est une proposition qui se démarque déjà du lot. » Le créateur peut donc modifier son scénario en cours de route, ce qui n’est pas nécessairement le cas lorsqu’il travaille avec le texte d’autrui.

En ce début d’année, la programmation du TUM propose quatre spectacles, à raison d’un par mois. La saison se poursuit les 14 et 15 février prochains, avec Rhinocéros d’Eugene Ionesco, mis en scène par Laurent Trudel.

JEAN CHAREST (1)

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