Engagez-vous, qu’ils disaient

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Par Etienne Galarneau
mardi 16 septembre 2014
Engagez-vous, qu’ils disaient
Les performances sur l'album ont été enregistrées et filmées à l’été 2014, en une seule prise et un seul plan. (Crédit photo : Courtoisie Audiogram)
Les performances sur l'album ont été enregistrées et filmées à l’été 2014, en une seule prise et un seul plan. (Crédit photo : Courtoisie Audiogram)
Le 6 septembre dernier, on apprenait que l’étiquette de disque Audiogram allait faire paraître une compilation pour son trentième anniversaire. Pour l’occasion, ils ont demandé à trente de leurs artistes de revisiter une chanson de leur répertoire dans une version épurée. L’exercice, très bien réussi dans l’ensemble, nous permet de nous rappeler certains moments importants de la musique populaire québécoise, d’hier à aujourd'hui.

L’une des pistes de la compilation retient plus mon attention que les autres : la relecture du célèbre « Libérez-nous des Libéraux »de Loco Locass. Cette version m’a fait me poser quelques questions, notamment : si vous faites de la musique engagée, quelle place devez-vous prendre dans le débat public ?

Le titre est mis au goût du jour pour la compilation d’Audiogram et est maintenant orienté vers les grands noms du cabinet du premier ministre Philippe Couillard. La pièce « Libérez-nous des Libéraux » est sortie il y a dix ans, à l’aube des manifestations étudiantes de 2005 et a permis à Loco Locass d’être parmi les figures culturelles qui prenaient la défense des luttes populaires. Leur quasi-absence sur les tribunes médiatiques pendant le conflit étudiant de 2012 nous permet de croire qu’ils sont passés à autre chose dans leur vie et leur carrière. Ce retour sur l’actualité politique peut donc sonner un peu faux, malgré l’intention louable du groupe.

Engagements différents

J’ai sous la main deux autres formes d’engagement dans la musique, chacun avec leur pour et leur contre. Pour établir un lien avec Loco Locass, j’ai choisi des artistes qui traitent du conflit étudiant de 2012 et qui sont aussi signés chez Audiogram.

Parmi les artistes qui répondent à ces critères, on retrouve Ariane Moffatt, qui a aussi, par le passé, procédé à l’exercice d’actualiser un titre. Sur son album Tous les sens, la chanteuse a produit la pièce « Jeudi 17 mai », qui traitait de la une des journaux de cette journée dans le monde. Elle a repris le même titre le 17 mai 2012, en adaptant son discours, signalant qu’elle s’opposait à la loi spéciale annoncée la veille et qui avait pour but de contrôler les manifestations étudiantes du Printemps érable. Pour sa part, il s’agit de sa seule contribution artistique pour une cause sociale visée. Si l’impact voulu est ressenti, l’aspect éphémère de l’action laisse les sympathisants à la cause sur leur faim.

En août dernier, l’auteur-compositeur-interprète Bernhari (Alexandre de son prénom) a fait paraître un album homonyme qui, à mon avis, figure parmi les meilleures sorties québécoises de l’année. L’album présente un récit poétique d’une grande sensibilité inspiré directement des manifestations étudiantes de 2012. Le chanteur, cependant, semble aimer entretenir le mystère autour de son personnage et évite de s’engager sur des terrains glissants. L’œuvre est engagée, mais tourne sa politisation à des fins plus poétiques que contestataires.

L’engagement en musique est un fardeau difficile à porter. Loco Locass aurait pu éviter ce piège en optant pour la réédition d’un titre moins pointu. « M’accrocher ? », leur titre sur le suicide, a fait bonne figure à sa sortie en 2007 et aurait pu avoir sa place sur la compilation d’Audiogram. Le groupe serait cependant passé à côté de leur plus grand succès, comme quoi lorsque l’on essaie de prendre place dans le débat public, il faut parfois choisir entre le beurre et l’argent du beurre.