Emploi étudiant 2.0

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Par Manuel Ausloos-Lalanda
mercredi 10 février 2016
Emploi étudiant 2.0
Pour devenir influenceur, Farokh Sarmad a envoyé des centaines de courriels aux entreprises de publicité afin d'être recruté. Son Tumblr lui a permis de se faire connaître, grâce à son grand nombre d'abonnés. (photo : Andres Kebe)
Pour devenir influenceur, Farokh Sarmad a envoyé des centaines de courriels aux entreprises de publicité afin d'être recruté. Son Tumblr lui a permis de se faire connaître, grâce à son grand nombre d'abonnés. (photo : Andres Kebe)
Engagés par des compagnies pour inciter les gens à acheter leurs produits, les influenceurs utilisent leurs comptes sur les réseaux sociaux comme des vitrines publicitaires. Jeunes et dynamiques, ils ont converti ces réseaux en outil de placement de produit. Quartier Libre a rencontré un étudiant qui s’est lancé dans ce marché lucratif.
« Peu importe l’environnement média dans lequel on se retrouve, si tu deviens populaire et qu’une certaine masse de gens te suit, tu deviens intéressant d’un point de vue publicitaire. »
Jean Gaudreau - Chargé de cours au certificat de publicité de l’UdeM

«Un influenceur, c’est un leader d’opinion, explique le chargé de cours au certificat de publicité de l’UdeM Jean Gaudreau. Une personne qui peut avoir une certaine forme d’influence sur les consommateurs ou un groupe ciblé. » Youtubeur, blogueur ou journaliste citoyen, il existe plusieurs profils. « Avant, c’était surtout des journalistes et des chroniqueurs, rappelle M. Gaudreau. Mais maintenant, tout le monde peut s’autodiffuser. »

L’étudiant au baccalauréat en relations internationales et droit international à l’UQAM Farokh Sarmad a lancé sa carrière d’influenceur en novembre 2014 en envoyant des centaines de courriels à des compagnies pour proposer ses services. Sur Instagram, il est connu sous le nom de mr. goodlife. « L’idée, c’était de pouvoir réunir les gens autour d’une philosophie : la bonne vie, une passion du luxe et du goût », raconte-t-il.

En quelques mois, la page attire des dizaines de milliers d’abonnés ; 10 000 le premier mois, 25 000 le deuxième, 100 000 le cinquième. Aujourd’hui, Farokh gère neuf pages Instagram distinctes, totalisant cinq millions d’abonnés répartis dans plus de 190 pays, et les clients pour lesquels il place les produits vivent aussi aux quatre coins du monde.

Publicité ciblée

La clé du succès, d’après Farokh, est de cultiver un champ d’intérêt pour attirer des abonnés qui partagent les mêmes passions. Les pages de Farokh s’intéressent à des thèmes variés : articles de luxe, mode, amour ou citations de motivation.

Pour l’étudiante au baccalauréat en études internationales à l’UdeM Louise Beaslay, qui suit une blogueuse et influenceuse mode, l’intérêt réside avant tout dans l’aspect esthétiquee et la composition des photos. « Certains blogueurs peuvent aussi amener une forme de motivation en poussant à adopter un mode de vie plus sain par exemple », observe-t-elle.

Un mode publicitaire attrayant

Un influenceur apporte également une certaine fiabilité au message publicitaire. « Si je suis une entreprise qui tient un discours positif à mon propre égard, j’ai besoin d’une tierce personne pour pouvoir me donner de la crédibilité par rapport au message, illustre M. Gaudreau. Comme ça, ce n’est plus moi qui le dis, c’est quelqu’un d’autre. »

Un influenceur propose plusieurs forfaits à ses clients selon le nombre de publications qu’ils commandent, leur format (photo, vidéo, texte), etc. Le prix d’une publication sur un des comptes de mr. goodlife oscille entre 60 $ et 400 $. Ainsi, les revenus de l’entreprise d’un influenceur varient entre 10 000 et 40 000 $ par mois, selon Farokh. Pour les entreprises, la publicité des influenceurs est très rentable, car elle offre un coût par vue minime par rapport aux supports traditionnels. « Avec une page à 500 000 abonnés, si je vends la publicité 150 $, ça donne une publicité à 0,0003 $ par abonné », décrit Farokh.

Emploi et études à temps plein

Toutefois, être influenceur nécessite du temps. Malgré ses cinq cours par session, Farokh investit 70 à 80 heures chaque semaine dans ce travail. « C’est de plus en plus compliqué à concilier avec mes études, mais j’y arrive, confie-t-il. Je suis discipliné dans la gestion de mon temps. »

Par ailleurs, cette activité a causé à Farokh quelques problèmes de santé liés à l’utilisation intensive de son téléphone. Il a dû acheter de nouvelles lunettes, consulter un médecin à cause de migraines et apprendre à tenir son téléphone d’une nouvelle manière après avoir eu plusieurs tendinites. « C’est tout bête, note-t-il en riant, mais ce sont les problèmes qui font que j’ai dû adapter ma vie à mon travail. »

Pour sa part, l’étudiant à la maîtrise en études internationales de l’UdeM Jérémy Flauraud considère que le phénomène des influenceurs peut être une nuisance. « Partout où l’on va, on nous matraque de publicité, défend-il. Quel intérêt d’aller soi-même chercher plus de mercantilisme ? »

D’après M. Gaudreau, le phénomène des influenceurs sur les médias sociaux n’est toutefois pas le signe d’une mutation du monde de la publicité, mais plutôt un développement. « Peu importe l’environnement média dans lequel on se retrouve, si tu deviens populaire et qu’une certaine masse de gens te suit, tu deviens intéressant d’un point de vue publicitaire », conclut-il. Si le concept n’est pas nouveau selon le professeur, l’enjeu réside désormais dans la portée sans précédent qu’offrent les réseaux sociaux.