Écrémer la fiscalité

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Par Dominique Cambron Goulet
mercredi 15 octobre 2014
Écrémer la fiscalité
Tous les étudiants ne réclament pas le crédit d’impôt auquel ils ont droit.
Crédit photo : Isabelle Bergeron
Tous les étudiants ne réclament pas le crédit d’impôt auquel ils ont droit.
Crédit photo : Isabelle Bergeron
La Commission d’examen sur la fiscalité québécoise présidée par le professeur à l’Université de Sherbrooke Luc Godbout reçoit actuellement des mémoires afin de réformer le système fiscal québécois. La Coalition régionale étudiante de Montréal (CREM) ainsi que la Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) ont proposé à la Commission d’abolir le crédit d’impôt provincial pour frais de scolarité.
« Ça n’avait pas de sens de l’abaisser [le crédit d’impôt] à 8 % et ça n’en a pas plus de l’abolir. »
Nicolas Boivin, Professeur au Département des sciences comptables de l’Université du Québec à Trois-Rivières

Ce crédit est qualifié de non remboursable, c’est-à-dire qu’il ne peut servir qu’à abaisser le montant d’impôts payé par l’étudiant. Selon le professeur au Département des sciences comptables de l’Université du Québec à Trois-Rivières (UQTR) Nicolas Boivin, ce crédit est un des plus souples de la fiscalité québécoise. « Contrairement à la majorité des crédits qui sont perdus s’ils ne sont pas utilisés dans l’année courante, on peut reporter ce crédit aussi longtemps qu’il le faut pour pouvoir l’utiliser sur notre futur impôt payable, explique-t-il. Il a été modelé ainsi puisque les étudiants n’ont en général pas d’impôt à payer durant leurs études. »

Selon la CREM, qui regroupe une dizaine d’associations de la région montréalaise, dont la Fédération des associations étudiantes de l’UdeM (FAÉCUM), ce crédit ne profite pas au bon moment aux étudiants. « Des mesures d’aide aux étudiants devraient être accessibles au moment où l’étudiant en a besoin plutôt que par la suite », soutient le porte-parole de la CREM et secrétaire général de la FAÉCUM, Vincent Fournier Gosselin.

Pour la coalition, il serait préférable d’investir cet argent dans l’aide financière aux études (AFE) qui touche directement à l’accessibilité universitaire. « Le coût de la vie a augmenté de 40 % depuis le début des années 1990, et l’aide financière aux études, de son côté, a seulement augmenté de 19 % , rappelle Vincent Fournier Gosselin. Ça, c’est le pro­blème majeur qu’on cible et c’est ce sur quoi on a décidé de travailler. »

Selon la FEUQ, qui appuie également l’abolition du crédit d’impôt dans son mémoire, l’argent économisé en abolissant le crédit d’impôt totaliserait 125 M$ et pourrait ainsi servir à augmenter les dépenses admises des étu­diants de 106 $ par mois.

Un crédit utile ?

Le professeur Nicolas Boivin met toutefois en garde les associations étudiantes contre leur proposition. « Chacune des mesures fiscales a son utilité propre, rappelle-t-il. On a l’impression que cela a un impact équivalent parce que ça vient toujours des poches du gouvernement. Tout concentrer vers l’aide financière aux études n’est pas un système équilibré et optimal. »

Selon lui, toute personne qui paie des frais de scolarité devrait avoir droit à un crédit d’impôt. « Ce crédit sert à défiscaliser le revenu qui a été utilisé pour payer une éducation », précise le spécialiste de la fiscalité.

Le crédit d’impôt s’élève actuellement à 8 % du montant des frais de scolarité payés. Toutefois, avant 2013, ce crédit était fixé à 20 %. « Si on quantifie la perte d’argent de cette diminution, on arrive à un montant équivalent d’une hausse de frais de scolarité de 18 % », rappelle M. Boivin.

La volonté d’abolir le crédit existe depuis longtemps chez les associations étudiantes. « Même quand c’était à 20 %, on trouvait que c’était une mesure inefficace », relate Vincent Fournier Gosselin.

Pour le professeur Boivin, il aurait été préférable d’opter pour un crédit remboursable pour en faire profiter les étudiants directement pendant leurs études plutôt que de tout aligner vers l’AFE. « Ça n’avait pas de sens de l’abaisser à 8 % et ça n’en a pas plus de l’abolir », juge-t-il.

La coalition, de son côté, va encore plus loin en proposant d’abolir l’incitatif gouvernemental au Régime enregistré épargnes-études ainsi que l’exemption d’impôt provincial à ce régime. « Cette mesure, tout comme le crédit d’impôt, ne vise pas les bonnes personnes et profite aux gens les plus riches », estime Vincent Fournier Gosselin.

Pourquoi la CREM

Alors que la FEUQ avait déjà identifié en août ces deux mesures comme faisant partie de son plan d’action annuel, la CREM a également déposé un mémoire, car la commission effectuait des audiences régionales. « C’était pertinent de réunir les acteurs de la région de Montréal pour y participer, estime Vincent Fournier Gosselin. Plus il y a de monde qui répète le même message, plus il y a de chances qu’il soit entendu. »

Une initiative locale encouragée par la FEUQ, même s’il se trouve à avoir doublon. « Toute initiative locale de ses associations est saluée, soutient son président Jonathan Bouchard. Cette pluralité d’actions et de moyens de pression contribue à la vitalité et à la force du mouvement étudiant. » Toutefois, il rappelle que la FEUQ est la seule association étudiante nationale universitaire reconnue par le gouvernement.

Les audiences de la Commission auront lieu à Québec les 28, 29 et 30 octobre prochains.

Autre vision à l’Université Laval

La Confédération des associations d’étudiants et étudiantes de l’Université Laval (CADEUL) et l’Université Laval ont déposé un mémoire commun à la commission sur la fiscalité le 9 octobre dernier.

De leur côté, ils proposent la création d’un Fonds dédié à l’enseignement supérieur. Ce modèle s’inspire de celui du Fonds des services de santé auquel toutes les entreprises cotisent selon la grosseur de leur masse salariale « En haussant de moins de 1 % la cotisation des entreprises au FSS, on parvient à dégager un milliard pour venir en aide au système d’éducation », soutient la présidente de la CADEUL, Caroline Aubry-Abel. Selon elle, cette mesure fiscale permet de dégager une somme bien supérieure à l’abolition du crédit d’impôt, ce qui aidera à combler le définancement des universités. « On parle d’un milliard contre 180 M $ », souligne-t-elle. Pour la CADEUL, déposer un mémoire commun avec la direction de l’Université montre le côté rassembleur de leur solution.