Dulcinée

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Par Jean-Pascal de La France
mardi 31 août 2010
Dulcinée

Première scène : Miguel de Cervantès et sa moustache espagnole sont assis à un bureau style XVIIe siècle et écrivent les aventures de Don Quichotte. Ce dernier a lu trop de livres de chevalerie au point de se faire chevalier errant, de rajouter «de la Mancha » à son nom, de se battre pour dame Dulcinée du Toboso qu’il n’a jamais rencontrée. Derrière sa plume, Cervantès rit. Dans sa tête, la réalité : dans la tête de Don Quichotte, la virtualité.

Deuxième scène : Je suis assis dans un café et j’écris cette chronique. À ma gauche, quatre personnes : trois femmes et un homme. Ils ornent la table voisine de leur présence. Ils sont d’un âge qui signifie la Raison. Une des femmes tourne les pages de la programmation du Festival des films du monde 2010. Elle pointe, avec son index noueux, les films qu’elle connaît, afin de vendre le festival à ses amis. Et ses amis poussent des «oh!» et des «ah!». Ils poursuivent avec une discussion sur leur consommation de Mulholland Drive de David Lynch. Ils en parlent avec tant de nonchalance que j’ai peur qu’ils aient manqué le bateau. Gros plan sur ma peur. Dans leur tête, le divertissement : dans ma tête, l’art.

Troisième scène : Deux amis dans la vingtaine discutent dans la rue. Le premier raconte une anecdote. Il ponctue le milieu de son récit d’un : «On se serait cru dans un film.» Le second renchérit, additionne, fait germer un délire. Le délire devient cinématographique, avec des voitures en feu, de la musique dramatique, des gens qui pleurent, des clichés qui défilent. Dans leur tête, des images en mouvement : dans leur tête des vues, vues et revues. Quatrième scène : J’escalade la rue St-Denis. Au coin de St-Grégoire, un film se tourne. Sur le trottoir, des lumières, des fils, des caméras. À l’intérieur du bâtiment à ma droite, des comédiens, un réalisateur, des éclairagistes, un directeur de la photographie, et sûrement un producteur exécutif enfoui derrière une montagne de papiers. Dehors, un jeune technicien t-shirtement décontracté fume une cigarette de marque populaire. C’est l’heure de sa pause. Dans sa tête, sa job : dans la tête du producteur, l’industrie.

En l’espace d’une semaine et quelques siècles, j’aurai vécu tous ces évènements. Et tous prouvent ou démontrent que la culture est passée dans le cinéma, et que le cinéma est passé dans la culture, bien que le phénomène revête différentes formes. En revanche, même si les débats abondent, on réfléchit peu sur le sujet, comme on réfléchit peu sur soi. On s’enfonce, on décrit, on règle ses comptes, on déguise la publicité sous forme de critique, mais on réfléchit peu sur le cinéma. On se demande : On a aimé ou pas aimé ? Tel film est bon ou mauvais ? Ça m’a atteint ou non ?

«Je rêve ou il pleut ? – C’est peut-être les deux.» ( Jules et Jim)

Ainsi naquit cette chronique. Avec la volonté profonde de s’extraire de la structure cinématographique actuelle, des pseudo-débats actuels, du Moi omniscient, de la quotidienneté, de se détacher des artistes uniquement de nom, et des techniciens qui craignent la perte d’un contrat ; de voir cette structure comme un corps rendu au bout de ses limites, qui demande restauration. Une critique. Voici pourquoi nous explorerons le cinéma, ses artisans, les perceptions, les moeurs. Le but est de s’en extraire, de les surpasser. Je mènerai l’Enquête, et j’attends en retour les réflexions des lecteurs sur le sujet. Il y a un débat, une critique à amorcer. Le cinéma est un grand art, certes, mais dont les os sont vieux et fatigués. Prématurément.