discrimination systémique

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Par Martin Ducassé-Gambier
jeudi 14 novembre 2019
discrimination systémique
Le professeur agrégé à l'Ecole de criminologie de l'UdeM, Massimiliano Mulone. Crédit photo: Jacob Côté
Le professeur agrégé à l'Ecole de criminologie de l'UdeM, Massimiliano Mulone. Crédit photo: Jacob Côté
Le professeur agrégé à l’École de criminologie de l’UdeM Massimiliano Mulone fait partie de l’équipe de chercheurs indépendants qui a rendu public, début octobre, un rapport sur les pratiques de la police de Montréal en matière d’interpellation. Ce dernier fait état de discriminations systémiques envers les minorités racisées et fait des recommandations au Service de police de la Ville de Montréal (SPVM).
« Les personnes arabes [...] subissent un taux de surinterpellation de 93 %. »
Massimiliano Mulone, professeur agrégé à l’École de criminologie de l’UdeM

Quartier Libre : Quels sont les faits saillants de ce rapport ?

Massimiliano Mulone : Trois groupes racisés semblent vivre un traitement différencié de manière importante et généralisée. Il s’agit des personnes autochtones, noires et arabes. Je pense que notre méthode a également permis de déconstruire une certaine légitimation de ces discriminations, car on entend souvent l’argument que ces minorités seraient plus interpellées, puisqu’elles sont plus impliquées dans des délits. Or, nous avons pu montrer que les personnes noires et autochtones sont quatre fois plus interpellées que les blanches, et que les personnes noires subissent un taux de surinterpellation de 66 % au regard de leur participation aux infractions criminelles. Les personnes arabes ont, quant à elles, deux fois plus de risque d’être interpellées que les personnes blanches, et subissent un taux de surinterpellation de 93 %. Lorsqu’on regarde les données, on remarque également que les personnes autochtones ne sont pas discriminées de la même manière. Il s’agit du seul groupe racisé où les femmes et les personnes âgées de 40 à 50 ans sont majoritairement victimes de discriminations. En général, ce sont plutôt les hommes et les jeunes qui le sont.

Q. L. : Vous attendiez-vous à de tels résultats ?

M. M. : Je ne suis pas particulièrement surpris. En science, la multiplication du même résultat renforce sa véracité. De nombreuses études faites récemment à Ottawa, à Vancouver ou à Toronto mettent en lumière des disparités raciales. Cela aurait été une bonne surprise que Montréal sorte du lot, mais il n’y a aucune raison à cela. De plus, il existait des rapports sur la ville qui montraient déjà ces tendances, comme celui de « MTL sans profilage ». Je vous mets au défi d’en trouver un qui indique le contraire !

Q. L. : Croyez-vous en une évolution positive des pratiques du SPVM après la publication de ce rapport ?

M. M. : Le SPVM a reconnu tous les constats du rapport, c’est une première. Ensuite, je pense que le concept de racisme systémique est mieux compris en interne. Ce sont des pratiques problématiques ancrées dans l’institution, et non le fait de policiers racistes. C’est la raison pour laquelle il est nécessaire d’évaluer chaque programme et chaque politique, afin d’en mesurer les effets sur les discriminations systémiques, ce qui se retrouve dans notre quatrième recommandation. Enfin, mes collègues et moi avons remarqué durant l’élaboration du rapport que nous manquions de contexte et d’interprétation des policiers vis-à-vis des interpellations. C’est la raison pour laquelle nous avons demandé à poursuivre l’étude dans le but de comprendre les pratiques d’interpellation, ce à quoi le SPVM semble répondre favorablement.

Q. L. : Quels procédés avez-vous utilisés pour obtenir ces résultats ?

M. M. : Notre mandat est assez étroit. Il s’agit d’analyser les données d’interpellation de 2014 à 2017 en lien avec l’identité racisée des personnes interpellées. Nous avons produit deux indicateurs de suivi pour observer les tendances. L’indice de disparité de chances d’interpellation (IDCI) mesure le risque d’interpellation des personnes racisées, par rapport à celui du groupe majoritaire blanc. L’indice de surinterpellation au regard des infractions (ISRI) compare la proportion d’interpellation des différents groupes racisés par rapport à leur implication dans les délits relevés par la SPVM. L’objectif est que ces indicateurs soient produits chaque année, afin de pouvoir se rendre compte d’une évolution.

Q. L. : Pourquoi avez-vous été choisi pour participer à l’élaboration de ce rapport ?

M. M. : À l’École de criminologie, nous avons de nombreuses collaborations de recherche avec les différents services de police et de sécurité. Je travaille sur ces domaines depuis plusieurs années. Un jour, on m’a appelé en me proposant de participer à la recherche, mais je doute avoir été le seul à qui le SPVM ait pensé.

1. Les interpellations policières à la lumière des identités racisées des personnes interpellées. Analyse des données du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) et élaboration d’indicateurs de suivi en matière de profilage racial – août 2019.