Dilemme quotidien

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Par Valérie Daniel
lundi 18 février 2019
Dilemme quotidien
Le nouveau Guide alimentaire canadien recommande notamment de faire de l’eau sa boisson de choix. Crédit photo : Benjamin Parinaud.
Le nouveau Guide alimentaire canadien recommande notamment de faire de l’eau sa boisson de choix. Crédit photo : Benjamin Parinaud.
Depuis sa publication en janvier, le nouveau Guide alimentaire canadien a suscité certaines remarques au sujet de l’abandon du concept de portions et de la modification des groupes alimentaires. Les fruits et légumes sont les vedettes, suivis des aliments à grains entiers et protéinés. Quartier Libre s’est entretenu avec le professeur au Département de nutrition de l’UdeM Jean-Claude Moubarac, qui a partagé son analyse.

Quartier Libre : Soixante-dix-sept ans après sa première édition, comment le guide a-t-il évolué ?

Jean-Claude Moubarac : Le premier et précédent ouvrage a été créé au moment de la Première Guerre mondiale. L’objectif principal était de donner un modèle alimentaire développé sous la forme de rations, afin que chacun puisse subvenir aux besoins nutritionnels de son corps. Bien de l’eau a coulé sous les ponts depuis. Les problèmes de santé, l’offre alimentaire et l’environnement ont énormément évolué, donnant à Santé Canada l’intérêt d’introduire de nouveaux concepts tels que la modération des aliments transformés, l’encouragement des comportements sains, la conception holistique ; le guide va au-delà des nutriments, au-delà de ce qu’on devrait manger, et il fait le lien entre l’humain et son environnement.

Q.L. : Que justifie la disparition des groupes des produits laitiers et des viandes et substituts au profit de la catégorie des aliments protéinés ?

J.-C.M. : Il y a des données qui permettent de conclure que de réduire la consommation de viande serait bénéfique pour la santé et pour l’environnement. Santé Canada apporte une vision selon laquelle il faudrait manger plus protéiné et, de préférence, plus de sources végétales. Concrètement, ça veut peut-être dire qu’au lieu de boire deux verres de lait par jour, un seul est suffisant. On souhaite que l’individu commence à envisager une diminution d’aliments de provenance animale.

Q.L. : Comment l’argument environnemental se manifeste-t-il dans ces changements ?

J.-C.M. : En recommandant une alimentation plus axée sur les protéines végétales, qui vaut mieux pour l’environnement. Santé Canada ne cherche toutefois pas à faire plaisir aux activistes ou aux tendances, ils ne recommandent pas un mode de nutrition qui exclut obligatoirement les animaux, et je pense que ce serait faux sur le plan nutritionnel et environnemental. Je crois qu’il faut manger de vrais aliments et changer nos méthodes de production, tant animale que végétale.

Q.L. : Comment le Guide peut-il influencer les tendances alimentaires des étudiants ?

J.-C.M. : Le Guide alimentaire est avant tout un ouvrage de référence professionnel. Je suis de l’école de pensée qui affirme que le changement n’est pas seulement la responsabilité des individus. Il faut surtout travailler sur les environnements pour les rendre plus favorables. Chaque instance doit se poser la question : comment pouvons-nous faire afin que nos politiques soient en cohérence avec le Guide ? Ici, à l’Université, il faudrait pouvoir avoir accès à des aliments qui sont cuisinés chaque jour. Par exemple, à l’Université de São Paulo, les étudiants ont accès à un repas cuisiné et sain à prix très abordable, soit trois ou quatre dollars. L’Université pourrait être vue comme un laboratoire où il est possible d’influencer le changement alimentaire à l’aide des étudiants en les considérant comme les protagonistes de l’histoire.

Q.L. Auriez-vous quelques conseils pour les étudiants qui souhaitent bien manger tout en respectant leur budget ?

J.-C.M. : Bien se nourrir peut être abordable. Développer des recettes à partir de cette optique reste une solution efficace. Si l’on diminue la viande et les produits laitiers, on coupe nécessairement dans les dépenses. Les légumineuses demeurent une option moins dispendieuse. D’ailleurs, des espaces à manger collectifs peuvent permettre de regrouper les achats, de cuisiner ensemble, puis de séparer les portions, ce qui reste plus abordable. Je pense que l’Université se doit de prendre l’engagement de garantir un environnement simple et d’offrir ce genre de service, telles la soupe populaire ou les cuisines collectives.

Q.L. Et quoi surveiller en faisant l’épicerie ?

J.-C.M. : On peut miser sur la congélation, les fruits au rabais ou les aliments « moches » offerts à un coût réduit. L’épicerie En Vrac, une initative d’étudiants de l’UdeM, propose également les produits au prix du fabricant. Tout ce qui est légumes et fruits de saison est à privilégier. Il faut toujours regarder le prix, magasiner, favoriser les aliments qui sont moins chers.

Ce qu’on recommande, aussi, c’est d’éviter les aliments ultratransformés qui contiennent des additifs et des substances que les gens n’utilisent pas à la maison. Par exemple, les boissons gazeuses, la plupart des biscuits, gâteaux bon marché, certains yogourts aromatisés, le lait au chocolat. Le message concret se veut donc de manger moins transformé.