Désaccords en genre et en nombre

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Par Étienne Tremblay
mercredi 13 décembre 2017
Désaccords en genre et en nombre
Le Dictionnaire critique du sexisme linguistique, réalisé sous la direction de Suzanne Zaccour et Michaël Lessard, traite du débat sur l'écriture inclusive, entre autres sujets. (Photo : Laura-Maria Martinez)
Le Dictionnaire critique du sexisme linguistique, réalisé sous la direction de Suzanne Zaccour et Michaël Lessard, traite du débat sur l'écriture inclusive, entre autres sujets. (Photo : Laura-Maria Martinez)
Le logiciel de traitement de texte Microsoft Word a ajouté à son correcteur l’option « Langage inclusif » en octobre dernier, qui permet de cibler les expressions jugées sexistes ou discriminatoires. Malgré de telles prises de position en faveur de l’écriture inclusive, les avis sur le sujet demeurent divisés.
La langue modifie le monde, affecte comment la société fonctionne, comment le droit fonctionne.
Suzanne Zaccour, Coauteure du Dictionnaire critique du sexisme linguistique et de la Grammaire non sexiste de la langue française

Pour cartographier les usages inclusifs et démasquer le sexisme qui se cache dans le vocabulaire courant, les juristes de formation Suzanne Zaccour et Michaël Lessard ont publié coup sur coup le Dictionnaire critique du sexisme linguistique et la Grammaire non sexiste de la langue française dans la dernière année. Ils ont reçu des réactions positives, mais aussi certaines critiques. « C’est un projet de démocratisation de la langue, explique Mme Zaccour. On n’avance pas de théories linguistiques, on dit : « voilà comment les gens parlent ». C’est un projet du bas vers le haut. »

L’inclusion au prix de la lisibilité

Certaines règles contenues dans la Grammaire non sexiste de la langue française recoupent celles déjà mises de l’avant par l’Office québécois de la langue française (OQLF), comme le recours aux noms épicènes et aux doublets [voir encadré « Quelques outils d’inclusion »]. Toutefois, d’autres pratiques comme les points et les parenthèses pour féminiser les terminaisons ne font pas l’unanimité. « Nous ne favorisons pas les versions tronquées avec le point médian, mais c’est sûr que dans un tableau, où on n’a pas beaucoup d’espace, on va pouvoir les utiliser », nuance le porte-parole de l’OQLF, Jean-Pierre Le Blanc.

Cette règle est jugée fautive par la chargée de cours au Département de linguistique et de traduction Louise-Laurence Larivière. « Ça fait des textes absolument illisibles, affirme-t-elle. Et puis, c’est agrammatical. On ne peut pas avoir des mots avec deux genres. » Mme Larivière signe un texte dans le Dictionnaire critique du sexisme linguistique où elle argue que ces points médians réduisent la femme à un suffixe.

Écrire le changement

Le français n’a pas de genre neutre, mais depuis le xviie siècle, la règle posée par l’Académie française veut que le masculin l’emporte en jouant le rôle de sujet indifférencié, rappelle Mme Larivière. « [L’académicien] Vaugelas a décidé que le masculin l’emporterait parce que c’est un genre plus noble », relate-t-elle. Plusieurs partisans de la féminisation proposent un retour à l’accord de proximité qui était couramment utilisé à l’époque.

Que les usages soient grammaticalement corrects est une question de second ordre pour Suzanne Zaccour. « Il y a quelque chose qui va au-delà de l’accord grammatical, avance-t-elle. Notre point de départ est que la langue modifie le monde, affecte comment la société fonctionne, comment le droit fonctionne. » Selon elle, l’égalité est à chercher non seulement dans les accords grammaticaux, mais aussi dans la prise de conscience des connotations sexistes d’un certain vocabulaire.


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