Des stagiaires en situation précaire

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Par Antoine Buée
mercredi 25 février 2015
Des stagiaires en situation précaire
Les étudiants au baccalauréat en enseignement doivent réaliser quatre stages obligatoires de plus de 300 heures sans être rémunérés.
Les étudiants au baccalauréat en enseignement doivent réaliser quatre stages obligatoires de plus de 300 heures sans être rémunérés.
Le nombre de stages non rémunérés a explosé au Canada ces dernières années. On estime à 300 000 le nombre de personnes effectuant un stage sans compensation financière au pays. Devant la hausse de ce phénomène, la députée néo-démocrate Laurin Liu a lancé le projet de loi C636, qui a été présenté aux élus de la Chambre des communes le 17 février dernier et qui viserait à mieux protéger les stagiaires.
« Il ne faut pas que la rémunération des stagiaires soit vue comme une dépense, mais bien comme un investissement. Trop souvent, les stagiaires sont perçus comme du cheap labor . »
Jonathan Bouchard, Président de la FEUQ

«Aujourd’hui, pour les stagiaires, il n’existe aucune protection, aucune loi qui limite ce qu’un employeur peut lui exiger, explique la plus jeune femme élue à la Chambre des communes de l’histoire du Canada, Laurin Liu.Ce projet de loi a vu le jour en 2011, après que le stagiaire albertain Andy Ferguson soit décédé lors d’un accident de la route lié à la fatigue. Il rentrait alors du travail après que son employeur ait exigé qu’il remplisse deux quarts de travail.

« Essentiellement, le projet de loi vise à protéger les stagiaires avec une limitation sur les heures de travail, à leur donner une protection contre le harcèlement sexuel et le travail dangereux », précise Mme Liu.La rémunération systématique n’est donc pas dans la ligne de mire de ce projet de loi, qui toucherait uniquement les entreprises de compétence fédérale, telles que les banques et les sociétés d’État canadiennes.

Pour le professeur au Département de sociologie Paul Sabourin, le stage n’exerce plus les mêmes fonctions aujourd’hui que par le passé.« Dans la conjoncture socio-économique actuelle, on voit qu’il existe un durcissement sur le marché du travail, explique-t-il. Les employeurs profitent de la disponibilité de main d’œuvre importante pour donner des conditions de travail difficiles. » Cette grande disponibilité permettrait par exemple à l’employeur de remplacer facilement un employé ou un stagiaire qui ne serait pas prêt à se plier aux conditions qu’il impose.

Le projet de loi contient également une deuxième partie qui vise à limiter l’usage des stages non rémunérés. « Le projet de loi stipule que tous les stages non rémunérés doivent offrir l’équivalent d’une formation donnée par un centre de formation professionnel » , souligne Laurin Liu, qui a reçu l’appui du député libéral Scott Brisson, et du député néo-démocrate Andrew Cash lors de l’ouverture du débat à la Chambre des communes le 17 février dernier. Le vote est prévu le 22 avril prochain.

« On voit de plus en plus, au Canada, des emplois de bas d’échelle qui sont remplacés par des postes de stages non rémunérés, explique-t-elle. C’est ce qu’on essaie d’empêcher, que les postes rémunérés soit transformés en postes de stages non rémunérés. »

Faire ses preuves

L’étudiante en relations internationales et membre de l’association des jeunes libéraux de l’UdeM Eliz Iftode craint pour sa part que le projet de loi freine l’entrée des jeunes travailleurs sur le marché de l’emploi. « Certaines entreprises préfèrent engager des travailleurs avec de l’expérience de travail au lieu de prendre en charge quelqu’un qui sort de l’école sachant que la formation est à leurs frais », soutient-elle. Puisqu’ils sont moins contraignants pour l’employeur, les stages peuvent ainsi être une bonne occasion pour les étudiants de se familiariser avec le milieu du travail et de faire leurs preuves auprès d’un employeur, selon Eliz.

Pour M. Sabourin, le stage permet aussi de créer des liens sociaux qui, par la suite, importent beaucoup lors de la recherche d’un emploi . « Le stage vient institutionnaliser quelque chose que les recherches en sociologie, aux États-Unis, ont mis en évidence, c’est qu’environ 80 % des gens obtiennent leurs emplois par des liens interpersonnels », justifie­-t-il.

Eliz estime qu’une rémunération systématique des stages pourrait être trop sévère. « En donnant moins de liberté à l’employeur, cette loi pourrait compliquer l’accès à l’emploi pour les finissants », juge-t-elle. Réunis en conseil général, une majorité de membres du PLQ s’étaient néanmoins prononcés, à l’automne dernier, en faveur d’une rémunération des stages de plus de 300 heures qui sont obligatoires dans le cadre d’une formation.

Rémunérer les stages obligatoires

La Fédération étudiante universitaire du Québec (FEUQ) travaille depuis longtemps sur la condition des étudiants qui effectuent des stages obligatoires dans le cadre de leurs études. La Fédération s’est récemment concentrée sur la situation des étudiants en enseignement qui doivent effectuer quatre stages obligatoires à leurs frais. « La rémunération, c’est d’abord et avant tout une façon de valoriser la profession, estime le président de la FEUQ, Jonathan Bouchard. On constate aussi que les étudiants qui effectuent un stage à temps plein s’endettent pour mener à terme leur cursus académique, un endettement qui a des impacts sur les projets de vie à court et moyen terme. »

La pétition qui a été déposée à l’Assemblée nationale a reçu l’appui de 7 832 personnes.« Il ne faut pas que la rémunération des stagiaires soit vue comme une dépense, mais bien comme un investissement, souligne M. Bouchard. Trop souvent, les stagiaires sont perçus comme du cheap labor. »

Au Canada, le chômage des jeunes travailleurs est deux fois plus important que la moyenne nationale, selon une étude menée par la banque CIBC, en 2013.