Décoloniser l’enseignement universitaire

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mercredi 12 avril 2017
Décoloniser l’enseignement universitaire
Le chirurgien d’origine innue et consultant pour la Faculté de médecine de l’UdeM, Stanley Vollant. (Photo : Courtoisie Innu Meshkenu)
Le chirurgien d’origine innue et consultant pour la Faculté de médecine de l’UdeM, Stanley Vollant. (Photo : Courtoisie Innu Meshkenu)
Le rapport de la Commission de vérité et réconciliation du Canada émis en 2015 a encouragé quelques établissements universitaires à agir afin d’intégrer les autochtones à l’enseignement et à revoir le parti pris colonisateur dans le contenu éducatif. Ces initiatives, saluées par plusieurs, ne font pourtant pas l’unanimité.

Lors de la réunion du G20 tenue à Pittsburgh en 2009, l’ancien premier ministre canadien Stephen Harper déclarait que le Canada n’était pas une puissance colonialiste et donc « […] que nous possédons tous les aspects que beaucoup de gens admirent chez les grandes puissances, mais aucune des choses qui menacent ou dérangent » (Ljunggren, 2009). Pourtant, un an plus tôt, Harper présentait des excuses aux peuples autochtones du Canada pour les blessures causées par les pensionnats indiens. Cette volte-face illustre bien la difficulté des instances gouvernementales canadiennes à reconnaître que le pays a été fondé sur le colonialisme. Les débats sur les pensionnats ont mené à la Commission de vérité et réconciliation du Canada (CRV). Le rapport, qui propose 94 appels à l’action, indique que les universités détiennent un rôle crucial dans la rectification des faits historiques pour les prochaines générations de Canadiens.

Depuis la publication du rapport, des universités ont entrepris certaines actions dans cette direction, et ce, plus particulièrement dans l’ouest du pays. En effet, les efforts les plus remarqués ont été faits à l’Université de Regina et de Winnipeg, où on compte le plus haut taux d’étudiants autochtones au Canada, soit 13 %, un chiffre à la hausse, en comparaison avec l’UdeM dont le taux est à peine de 1 % selon les données fournies par l’organisme fédéral Affaires autochtones et du Nord Canada. Par exemple, l’Université de Regina s’est dotée d’un comité consultatif constitué uniquement de membres autochtones en plus d’avoir ouvert plusieurs postes de direction à des membres de communautés autochtones. Ces nominations jouent un grand rôle dans une optique de réconciliation entreprise par ces établissements.

Cela dit, l’aspect le plus délicat et le plus critiqué concerne l’intégration de la culture et de l’histoire autochtone dans l’enseignement. En effet, certaines universités (dont celle de Winnipeg) ont rendu obligatoires au premier cycle des cours axés sur la réalité autochtone. À l’Université Lakehead (Ontario), on exige que les étudiants suivent au moins un cours par semestre comprenant 50 % de contenu autochtone. À la Faculté de théologie et de sciences des religions de l’UdeM, le professeur Jean-François Roussel a décidé d’offrir cette session le séminaire « Après les pensionnats, décoloniser les Églises et la théologie » dans le but d’encourager, à travers des écrits d’auteurs autochtones, une réflexion historique sur une autre représentation des relations religieuses avec les peuples autochtones.

Une démarche critiquée

Si cette démarche d’intégration est perçue comme une bonne foi des universités, elle laisse la place à de nombreux faux pas ethnocentriques. C’est du moins ce que pensent plusieurs professeurs autochtones et non autochtones, dont la professeure émérite d’études autochtones à l’Université St-Thomas (Nouveau-Brunswick) Andrea Bear Nicholas. Selon elle, ces actions devraient être entreprises uniquement dans les universités où il y a un grand nombre d’étudiants autochtones, car elle craint qu’une histoire revisitée par des non-autochtones dénature encore une fois les traditions déjà mises en péril en plus de créer de nouvelles formes d’injustice.

Cet argument est soutenu par Mme Shauneen Pete, de l’Université Regina, qui rajoute que l’histoire des autochtones ne devrait être enseignée que par des membres de la communauté impliqués par ces enjeux. Mme Pete est d’ailleurs l’auteure du texte 100 ways to Indigenize and decolonize academic programs and courses. Ce document propose d’augmenter les cours donnés hors campus et sur les réserves, et de permettre aux communautés autochtones de se réapproprier leur histoire face au biais colonialiste de la culture dominante.

Hormis certains désaccords, la majorité s’entend pour admettre que le milieu universitaire a besoin de revoir son enseignement, largement influencé par une vision culturelle colonialiste et se doit de trouver des solutions pour intégrer davantage de membres autochtones. Si la réalité autochtone doit être abordée dans le cursus éducatif, cela devrait être pensé et entrepris par des membres actifs de ces communautés afin d’éviter à nouveau le piège de l’ethnocentrisme. Une impasse se dessine : les autochtones représentent seulement 4,3 % de la population canadienne et environ 26 % d’entre eux détiennent un diplôme universitaire (gouvernement du Canada, 2015). Le recrutement de professeurs autochtones qualifiés demeure donc un défi pour les universités, en raison d’un manque de candidats à occuper ces postes.

Un changement dans les structures d’embauche pourrait peut-être résoudre une partie du problème. En effet, imposer un quota de professeurs autochtones, revoir les critères de sélection et réévaluer les équivalences d’expérience professionnelle pourrait s’avérer une piste de solution viable afin de permettre une plus grande représentation autochtone au sein du corps professoral en milieu universitaire. « Nothing about us without us » est le slogan de plus en plus utilisé par les dirigeants autochtones concernant les décisions prises par le gouvernement canadien. Espérons que ces mots dessineront la suite des choses dans le milieu universitaire du pays.