Ruelles de Montréal : dans le dos de la ville

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Par Charlotte Biron
mercredi 14 décembre 2011
Ruelles de Montréal : dans le dos de la ville

Tracez une ligne droite entre Montréal et l’océan Atlantique (c’est-à-dire 500 km). Imaginez que ce trait est un chemin étroit au-dessus duquel flottent des sous-vêtements et des draps mal assortis tirés par le vent. Vous obtenez la longueur totale des ruelles de Montréal, mises bout à bout. À la Maison de l’architecture du Québec (MAQ), l’exposition Réinventons la ruelle propose, jusqu’au 17 décembre, de réinventer ce verso de la rue.

Maquette du groupe Architecture Open Form illustrant le partage entre l’espace double ou triple des immeubles à logements et de la ruelle. (Crédit photo : Charlotte Biron)

« Je travaille dans le Plateau-Mont-Royal et les projets en architecture aujourd’hui sont à l’arrière des façades», ra

conte l’exposant et membre de la direction artistique de l’exposition, Suresh Perera, au sujet de la genèse de l’exposition. Depuis les années 1980, les nombreuses ruelles du Plateau-Mont-Royal ont profité d’une cure de verdissement assez impressionnante. La Ville de Montréal avait lancé le projet «Place au soleil» afin de démolir les hang

ars sujets aux incendies pour créer des jardins.

« Avec la participation de la Ville de Montréal et des initiatives citoyennes comme les ruelles vertes, nous avons compris qu’il existe un débat très intéressant pour les architectes, poursuit Suresh Perera. Nous voulions réfléchir à la façon dont l’architecture peut transformer la ruelle .

Le projet de

l’exposition vient de là. » L’exposition propose un résultat hétéroclite : 22 maquettes créées par autant d’architectes ou groupes d’architectes sont disposées de part et d’autre de la salle d’exposition donnant au visiteur l’impression d’être dans une ruelle. Dans ces maquettes bien exécutées, le visiteur ne trouve pas le dos de la ville puisque, paradoxalement, rien ne suggère une transformation directement sur la ruelle. « Le fait de traiter la ruelle par la façade arrière, ce n’était pas seulement pour inclure un grand nombre d’architectes dans l’exposition, justifie l’exposant et membre de la direction artistique, Suresh Perera.

En tant qu’architectes, nous ne pouvons pas directement transformer la ruelle. Elle appartient à la ville. » Les projets témoignent néanmoins d’une certaine liberté, évidemment impossible sur les avenues principales. «J’ai eu des problèmes à tenter des projets dans la rue, souligne M. Perera. En arrière, c’est plus facile.» La ruelle fournirait une sorte de refuge pour faire de l’architecture hors des sentiers battus.

La contradiction de la ruelle

Le Colombien Sergio Clavijo propose une maquette inspirée de In the Mood For Love (Wong Kar-Wai). Sa maquette sans clôture est un réceptacle pour des secrets. Elle est composée de matériaux récupérés directement dans les ruelles : bois, résine, cuir, terre, plantes… (Crédit photo : Sergio Clavio)

L’architecte et conseiller en aménagement urbain de la Ville de Montréal, Peter Fianu, insiste aussi sur cette liberté architecturale qu’offre le coeur des îlots de la ville. Par rapport à l’austérité des façades, le derrière des maisons est très expressif : «La ruelle est une collection de bizarreries et d’utopies.

Dans l’exposition, les artistes ont saisi ce bazar identitaire. De façon naturelle, ils reprennent une partie de la ville. Ils ne défont pas la ruelle, ils font de la cour une monumentalisation.» M. Fianu a animé la discussion tenue en novembre dernier sur le thème de l’exposition à la MAQ. «Le débat est intéressant, raconte l’architecte.

Certains insistent sur l’aspect intime de la ruelle, d’autres souhaitent l’utiliser comme un nouvel espace de vie. Certains souhaitent la privatiser, d’autres la laisser publique.» Entre ces points de vue, l’avenir de la ruelle reste flou. «Selon moi, la ruelle est publique et doit rester publique, précise l’employé de la Ville de Montréal. La privatisation me dérange, parce que la ruelle appartient aux citoyens.» Tous ne s’entendent pas là-dessus, mais l’objectif de tous est de valoriser la ruelle. Entre garderie, corde à linge, potager, ferme, cabane, les maquettes disparates expriment le potentiel de la ruelle, griffe montréalaise.

La ruelle, tranche de forêt

Si vous êtes passés près du Musée McCord cet été, vous avez sans doute croisé les arbres bleus et mauves de Paula Meyjerink. Cette architecte paysagiste de formation a eu le mandat d’intervenir dans l’espace créé par les deux rangées de maquettes de Réinventons la ruelle à la Maison de l’architecture du Québec.

MmeMeyjerink a répertorié toutes les espèces d’oiseaux que l’on peut retrouver dans les ruelles. On peut voir dans la salle la liste et quelques ovipares ailés suspendus au fond de la sal le. Assez minime, l’intervention de l’enseignante en architecture montre cependant le potentiel de biodiversité au coeur de la ruelle. Birdies, nom de l’intervention, c’est 40 oiseaux accrochés au plafond sur les 300 espèces d’oiseaux recensés dans la ruelle.